Joseph LOSEY alors blacklisté par la commission Mac Carthy pour ses supposées sympathies communistes se voit proposer de réaliser le remake du classique de Fritz LANG, M le Maudit (1931), contraint par les producteurs et ayant droits de l'oeuvre originale de respecter la trame narrative et quelques éléments scénographiques, il parviendra toutefois à livrer un film personnel, qui aujourd'hui est reconnu comme un des films majeurs du film noir des années 50 et comme un instantané sévère de l'Amérique d'alors.
La principale différence avec le chef d'oeuvre de Fritz Lang tient surtout dans le choix d'un tournage en extérieurs, permettant à Losey d'affirmer un art de la mise en scène basée sur le mouvement. Entrecoupé de plans séquences qui sont l'une des signatures du cinéaste, on notera la pertinence des mouvements de caméras indissociables de la place qu'occupent les décors naturels où prend place l'intrigue, mais aussi du choix des acteurs - le casting est d'ailleurs d'une façon générale un modèle de réussite - qui issus pour nombre d'entre eux du théâtre évoluent sur cette scène imaginaire avec un naturel qui concoure à donner à ce remake une dimension plus réelle et donc plus immersive que l'impression statique du film original, héritée elle, de la tradition du cinéma muet allemand des années 20.
Il est d'ailleurs intéressant pour les cinéphiles et autres théoriciens du 7° art de visionner les deux films l'un après l'autre pour voir l'évolution en deux décennies de la grammaire cinématographique.
D'une maîtrise absolue sur un plan formel, bénéficiant des jeux d'acteurs difficilement critiquables et d'une limpidité de scénario rare, Losey en profitera pour subtilement dénoncer les travers de l'Amérique, son puritanisme, mais aussi relayer les critiques en vogue à l'époque sur l'efficacité de la police, son amateurisme supposé et ses relations incestueuses avec la politique ou encore sa vanité qui la poussait à chercher l'aval de la presse.
Losey réussit le tour de force d'à la fois réaliser un remake fidèle d'un film si emprunt de l'âme de son cinéaste qu'il aurait été facile de finir avec un film inutile, d'en faire un film personnel et d'y insuffler quelques critiques acerbes le tout en étant étroitement surveillé, voir censuré par une idéologie politique et enfin rallier l'opinion publique puis au fil du temps les critiques à sa vision.
Bravo.