Petite précision pour toute personne tombant sur cette critique parce que le titre comprend le mot sorcière : ce film date de 1942, triste époque où certains réalisateurs français trouvèrent refuge à Hollywood. René Clair y a réalisé ce film avec les moyens techniques de l’époque : image en noir et blanc, trucages sympathiques mais qui feront doucement rigoler les inconditionnels d’Harry Potter.
Ceci étant dit, voilà un film charmant qui montre savoir-faire et fantaisie. Le film commence en 1770 par un procès en sorcellerie qui se finit par la mort d’un père et de sa fille Jennifer (la blonde Veronica Lake) sur le bûcher. La sentence a été prononcée par le juge Wooley à qui les deux condamnés ont souhaité un malheur héréditaire : se marier et être malheureux. Ce qui se produit, de génération en génération, prouvant la qualité de sorciers des deux malheureux. Or, le hasard fait que l’arbre sous lequel reposent les cendres des deux suppliciés est frappé par la foudre. La sorcellerie étant ce qu’elle est, voilà Jennifer et son père à observer les vivants avec envie. En toute discrétion, l’attention de Jennifer est attirée par un homme qui n’est autre que Wallace Wooley (Fredric March), ultime descendant de la famille qu’elle a jadis maudite. Wooley est un politicien qui brigue un mandat de gouverneur, alors qu’il est sur le point de convoler en justes noces avec Estelle Masterson (Susan Hayward), jolie brune qui ne manque pas de caractère. Attirée par Wooley, Jennifer décide d’entrer en scène !
Grâce à la bienveillance de son père et à ses pouvoirs de sorcière, Jennifer retrouve apparence humaine, tout en conservant des capacités étonnantes qui lui permettent de mettre le grappin sur Wooley, du moins tant qu’Estelle ne comprend pas ce qui se passe…
Ce film dégage un charme rétro indéniable. Il est court (1h13) et bien rythmé. Les acteurs sont irréprochables, à commencer par la délicieuse Veronica Lake qui utilise à merveille son charme et son dynamisme. Elle reste irrésistible en pyjama rayé trop large et elle minaude admirablement, faisant comprendre en deux temps trois mouvements comment une femme (charmante) peut ensorceler un homme pour le séduire : regard pétillant, voix langoureuse et sourire enjôleur. C’est admirable, car le spectateur sent en même temps son jeu et le pouvoir qu’elle exerce. Bien entendu, le scénario (cosigné Robert Pirosh et Marc Connelly) joue des situations présentées pour faire le parallèle entre le jeu de la séduction et le pouvoir de la sorcière, mettant ainsi le spectateur dans sa poche. Les péripéties et situations cocasses se succèdent sans jamais faiblir.
Malgré des trucages qui font bien leur époque, le film passe très bien grâce à un vrai sens de l’humour qui apparaît très souvent, sans en faire des tonnes, et un jeu sur la bande-son pour renforcer les effets. C’est souvent simple mais efficace, car inventif.
Enfin, si cette comédie fonctionne encore aussi bien, c’est qu’elle place le spectateur dans une position où il peut se délecter d’une certaine forme de mauvais esprit ! Ainsi, le père de Jennifer dit au début « Quel mariage n’est pas un échec ? » et plus tard « N’est-ce pas doux de le voir souffrir ? » De plus, on voit Jennifer jouer avec le feu, au propre comme au figuré, ce qui est parfaitement bien vu.