La liste des qualificatifs est longue, et comme il est toujours assez délicat de critiquer un film de Dumont sans se tromper sur ses volontés, je m'en contenterai pour critiquer ce film.
Drôle : c'est forcé, et c'est même l'objet du film. D'être drôle. Parfois balourd (étonnant que les couinements d'un obèse, des chutes par dizaines, des répliques débiles face autant rire les lecteurs de Télérama tant on s'approche par moment de la vulgarité américaine). C'est un humour sans chute : de chaque réplique on attend une fin (dans les deux sens du terme : qu'elle soit utile et terminée) mais, celle-ci ne venant jamais, quelqu'un chute, tombe, se casse la gueule pour y mettre un terme. Et alors que ce pourrait être gras et enfantin, c'est étonnamment drôle et absurde. Surtout lorsqu'il s'agit d'acteurs aussi côtés ; Juliette Binoche, bizarrement, m'est apparue très insupportable, pas à sa place parmi tous ces acteurs. Valeria Bruni Tedesci, rigoureuse, neutre est froide, se surpasse volontiers dans ce rôle ou elle violente son caractère d'habitude à fleur de peau. Christian Vincent, que l'on avait déjà vu en Paul Claudel aux côtés de Juliette Binoche dans le précédent film de Dumont est plus flippant et habité que jamais dans ce rôle de cousin barré, à la réplique prophétique et grammaticalement fausse : "We know what to do, but we do not do.". Mais c'est enfin et bien sûr Luchini qui remporte la palme, méconnaissable en bossu un brin ailleurs, obsédé par sa plante, dépassé par la situation et qui sort le plus grand nombre de répliques drôles (notamment lors de la géniale scène d'apéro où il cumule le "Apéri... apéri... apéritif !" et le tout sauf fin "Un douaaaa de whiseukiiiii ?").
Foutraque : des obèses qui volent, du cannibalisme, une enquête, des cascades, de la religion, de l'amour, des considérations très actuelles (jeu des sexes, fond politique,...)... Bruno Dumont met dans ce film, très semblable dans la forme et le fond à son Petit Quinquin (qui semble en être une suite, ou plutôt une déclinaison au cinéma et en costumes) un peu de tout, des sujets sociétaux aux obsessions personnelles. Et le pire dans tout cela c'est que c'est le bordel le plus organisé que l'on pourrait envisager.
Politique : S'il n'est pas question que de cela, Ma Loute est bien une relecture de la lutte des classes sur fond de cannibalisme (on laissera aux critiques le soin d'analyser le fait qu'un pêcheur ch'ti tue des touristes pour les servir à dîner à sa famille).
Absurde : tout ce qui a été dit auparavant, ou plutôt l'addition de tout ce qui a été dit auparavant dans un même espace temps qu'est ce film ne peut donner qu'un résultat absurde, et parfois tellement que c'en devient incompréhensible. Le but de l'absurde c'est justement de ne pas être forcément compréhensible, de n'avoir en apparence aucun sens. C'est pourquoi le film peut dérouter (et nombre de gens dans la salle ne riront pas, ne comprendront pas, parfois même partiront avant la fin) et rester incompris. Et c'est d'ailleurs mon cas : l'appréciant je n'y ai rien compris.
Mystique : la religion n'est jamais bien loin chez Bruno Dumont (cet ancien prof de philo dont les seuls titres de films réalisés suffisent à donner le ton), et elle est même parfois flagrante, sans être bien saisissable ; Valeria Bruni Tedesci s'envole en priant (plans immondes en drone à l'appui), le personnage de Billie se plonge, nue, dans une mer huileuse lors d'une scène mystique à souhait et d'une beauté plastique renversante, inondée par le soleil timide d'une fin de soirée normande...
Esthétique : ultra référencé picturalement, Ma Loute échappera à beaucoup, à moi le premier. Il n'échappera d'ailleurs pas à beaucoup uniquement pour ses références stylistiques, mais passons. Grâce à un traitement d'image crépusculaire, un contraste augmenté, les couleurs éclatent dans leur fadesse, et certaines scènes sont troublantes de beauté (que ce soit la scène de tempête, où la scène rappelée plus haut de baignade de Billie nue).