La liberté de Dumont se manifeste à chaque image d'un film outrancier et mal élevé à la mélancolie profonde. On retrouve dans Ma Loute ce qui faisait la réussite de P'tit Quinquin, le mariage insolite du burlesque et de la tragédie, la moquerie comme arme et l'amour comme espérance.
C'est un peu comme si Daumier avait fait du cinéma. La caricature est ici la règle qui régit toute chose. Mordante, théâtrale ou potache, elle impose au film un ton constamment hors des rails de la bienséance, croquant le bourgeois consanguin comme le prolo sanguinaire avec le même plaisir du grossissement du trait. On est à la Comedia dell'Arte, avec Laurel et Hardy, chez Guignol. Le regard est celui d'un grand gamin qui rigole sous cape.
Mais la singularité de Ma Loute, celle qui exprime avec évidence la liberté de son auteur, c'est autant le brouillage des pistes que la culture du contraste. À l'excès de jeu des comédiens s'oppose la renversante beauté des images, la Baie de la Slack alors filmée dans de sublimes nuances d'ocres, de bleus et de verts à la manière des aquarelles marines.
Et puis, comme dans P'tit Quinquin, l'histoire d'amour qui unit ici Ma Loute à Billie oppose sa pureté à la crasserie ambiante. Mieux, plaçant l'ambiguïté de Billie en exergue, Dumont propose d'autres pistes de lecture et questionne l'essence même du sentiment amoureux. Davantage qu'un salutaire vent de fraîcheur, cette relation amoureuse est le cœur même du film, le personnage de Billie, à la frontière des genres, étant le seul à créer des liens et à bouleverser les règles en imposant sa singularité.
On rit comme des gosses devant le gros qui tombe, le bourgeois qui prononce Whisseky ou le curé qui clôt son sermon par une sentence à double sens, "Pêchez en paix, morues et maquereaux à profusion"... mais on ne rit pas forcément à gorge déployée, plutôt par à-coups, le film n'avançant pas au rythme d'une comédie traditionnelle. La pulsation est profondément mélancolique, le regard se perdant souvent sur le doré des dunes avant de surprendre une scène burlesque, une sortie grotesque, un secret de famille soudain dévoilé.
Le casting mi professionnel mi amateur se prête au jeu d'un cinéaste qui maîtrise son film avec une autorité évidente. À la fausse candeur de Brandon Lavieville s'associe la beauté troublante de Raph, tandis que le duo Binoche Luchini cabotine avec un appétit réjouissant et que Bruni Tesdeschi se la joue madone.
Des costumes aux postures, de l'impossible villa de "style égyptien" en passant par la justification du mariage entre cousins pour définir le capitalisme, du cannibalisme comme arme de lutte à l'inceste par accident, Dumont se permet toutes les outrances. Ma Loute ne plaira pas à tout le monde et c'est une excellente nouvelle !