« Ma Loute » : le burlesque entre ciel et mer

Une comédie, fraîchement servie sur fond de satire sociale accompagnée de son coulis de chair fraîche et de son bouquet d’acteurs revisités à la sauce Dumont. Mesdames, messieurs, les spectateurs, bon appétit !


Critique initialement publiée ici


Présenté en compétition officielle du 69ème festival de Cannes, le dernier long-métrage de Bruno Dumont, Ma Loute, ne passe pas inaperçu dans le paysage cinématographique. Sorti en salles le 13 mai, les affiches du film, renouvelées peu de temps après, sont envahies par les citations de critiques toutes plus positives les unes que les autres. En caractère gras et couleur rouge vif, ces affiches nous ordonnent presque d’aller voir le film. Si vous ne les avez pas encore remarquées, prenez rendez-vous chez votre ophtalmo.


1910, la Baie de la Slack dans la Nord de la France. De mystérieuses disparitions perturbent la région. Pour percer l’énigme, l’inspecteur Machin et son acolyte Malfoy mènent l’enquête, à leur façon. L’histoire d’amour naissante entre Billie et Ma Loute vient se fondre à l’intrigue et offre une rencontre inattendue entre deux familles aux antipodes. D’une part la famille de Billie, les Van Peteghem riche famille bourgeoise excentrique en vacance sur la Baie et les Brufort, famille de pêcheurs et habitants de la région au régime alimentaire bien particulier.


Après le visionnage de la bande annonce, Ma Loute offre une promesse d’excentricité, de légèreté, d’intelligence et de rire. Mais aussi la surprise, l’étonnement, la découverte de paysages, de personnages et surtout la (re)découverte de deux acteurs exceptionnels : Fabrice Luchini et Juliette Binoche.


« Comme c’est pittoresque ! »


Cette réplique lancée par la voix haut-perchée d’Isabelle Van Peteghem (Valeria Bruni-Tedeschi) à la vue de la famille Brufort revenant de la pêche aux moules donne la note principale du film.


Ma Loute est un film étonnant, original et burlesque. Les personnages sont travaillés très à fond : les stéréotypes sont poussés si loin et avec une telle intelligence que chaque personnage dépasse son propre cliché et devient singulier. Les Van Peteghem affichent clairement leur appartenance à la bourgeoisie de part leur langage soutenu et leurs bonnes manières exacerbées, lesquelles ne les soustrait en rien au grotesque. Ils ont des tics de langage ; André (Fabrice Luchini) se déforme le visage en parlant ; sa femme Isabelle, glaciale, parle d’une voix haut-perchée, Aude (Juliette Binoche) sort beaucoup d’onomatopées et enfin le cousin totalement névrosé ne finit pas ses phrases ou alors déclame en anglais une réplique shakespearienne qui parodie le théâtre qu’ils sont tous en train de jouer.


Les Brufort eux, ne parlent presque pas, poussent parfois des grognements ou se contentent de se cogner dessus pour s’exprimer. Ils ont le visage fermé, le regard sombre. S’ils sont physiquement peu séduisant, ils se révèlent étonnement attachants.


Enfin, et c’est probablement le personnage le plus incroyable du film, le policier dit ‘inspecteur Machin’. Ce personnage au physique démesuré, joué par un comédien amateur, est absolument hilarant. Regroupant la plupart des clichés sur la police : fainéant, obsédé et absolument idiot. Il ne manquerait plus que l’accent du Sud pour couronner le tout, mais celui du Nord fait très bien l’affaire, d’autant plus qu’il rend certaines répliques incompréhensibles et ajoute à l’effet comique.


Un film déroutant


Tout d’abord, on nous annonce une enquête sur de mystérieuses disparitions mais le spectateur découvre la solution de l’intrigue de façon assez brutale dans les vingt premières minutes. Que va-t-il se passer ensuite puisque le nœud est déjà défait ? Dumont préfère nous emmener à la découverte de ses personnages excentriques, farfelus, et surtout vers une histoire d’amour biscornue entre Billie et Ma Loute. Encadrée par de sulfureux regards, cette relation brise la frontière sociale et floute l’identité sexuelle. Billie est un jour un garçon déguisé en fille, le lendemain il affirme à Ma Loute être une fille déguisée en garçon. C’est entre ces deux personnages que naît la trame dramatique du film. Le drame final est annoncé par la présence de la musique qui n’apparaît que pour ce couple mais également à travers un comique de situation bien maîtrisé : les personnages ne cessent de tomber.


Ces chutes à répétition accentuent l’ivresse qui émane du film, cette tension permanente entre ciel et mer, entre absurdité humaine et élévation. La Baie de la Slack où évoluent les personnages et la photographie signée Guillaume Deffontaines offrent un espace presque hors du monde. Le ciel, toujours bleu, l’omniprésence de l’eau et la lumière pastellée rendent le lieu et les personnages oniriques. Souvent captée en contre-plongée, la tête de Ma Loute se retrouve dans le ciel.


Cet azur nordique évoque également la religion catholique, parodiée dans film, notamment lors d’une séquence délicieuse de procession accordée à la vierge Marie. L’absurdité des situations, du langage et des comportements physiques, plaquée différemment sur chacun des personnages donne à ce film une dimension comique comme on en voit peu dans le cinéma français.


Bruno Dumont offre un film qui oscille entre le burlesque, le ridicule et la légèreté maîtrisée. Certes ses personnages tombent, dans le sable, dans la terre, mais ils s’envolent aussi quelquefois. Ils sont ridicules, hilarants, pathétiques et sublimés, presque mystifiés. Tantôt couverts de boue ou de sang, tantôt le teint lisse et l’air angélique.


Ma Loute est un film aérien, drôle, pourvu d’une mise en scène intelligente qui sait jouer avec l’espace et les silences. C’est également un film composé d’acteurs qui se sont surpassés et permettent aux spectateurs de (re)découvrir un Fabrice Luchini et une Juliette Binoche, dans une forme et avec le talent auxquels ils nous ont depuis quelques temps déjà habitués. Une nouvelle expérience cinématographique donc, formidable échantillon de la richesse et de la diversité de la filmographie de ce réalisateur, que l’on retrouve pour notre plus grand plaisir.
A noter cependant que l’excentricité exacerbée ne peut pas plaire à tous le monde. Je ne vous cacherai pas que toute la salle ne riait pas aux éclats, et certains ne daignaient pas même se fendre d’un sourire… L’humour est une forme d’esprit et puisque nous n’avons pas tous le même, je vous conseille d’aller confronter le votre à Ma Loute et voir si ça matche !

Amandine_Dubourg
8

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2016

Créée

le 4 juin 2016

Critique lue 1.1K fois

4 j'aime

Critique lue 1.1K fois

4

D'autres avis sur Ma Loute

Ma Loute
guyness
3

Dumont: dure ville, rase campagne

Je n'y allais pas animé d'un projet de joie mauvaise, malgré une détestation relativement cordiale de ce que je connaissais du travail du bonhomme. Dumont, pour moi, c'est le type qui était capable...

le 25 sept. 2016

75 j'aime

43

Ma Loute
Chaiev
7

C'est du lourd !

Chaque famille a ses proverbes, et combien de fois ai-je entendu chez moi répéter cet adage : « on ne traverse pas un marais, on le contourne». Autant dire qu’en assistant à la projection du dernier...

le 13 mai 2016

71 j'aime

11

Ma Loute
Moizi
9

Touché par la grâce

Bruno Dumont, non content d'être le meilleur réalisateur en activité, montre maintenant à chaque film une volonté d'évoluer, de proposer autre chose, sans pourtant se renier. On voyant dans Camille...

le 13 mai 2016

65 j'aime

4

Du même critique

Ma Loute
Amandine_Dubourg
8

« Ma Loute » : le burlesque entre ciel et mer

Une comédie, fraîchement servie sur fond de satire sociale accompagnée de son coulis de chair fraîche et de son bouquet d’acteurs revisités à la sauce Dumont. Mesdames, messieurs, les spectateurs,...

le 4 juin 2016

4 j'aime

L'Effet aquatique
Amandine_Dubourg
7

Quand l'amour ne tombe pas à l'eau

Primé à la Quinzaine des réalisateurs, ce film posthume de la réalisatrice Solveig Anspach ne pose pas les questions sur un ton grave. Il se contente de présenter deux êtres attirés l’un vers l’autre...

le 15 juil. 2016

3 j'aime

Holy Motors
Amandine_Dubourg
10

Critique d'Holy Motors par Amandine Dubourg

Une salle de cinéma bondé, les spectateurs les yeux fermés, immobiles, éclairés par la lumière du grand écran. Qui sont-ils ? Peut-être notre propre reflet. Dorment-ils ? Sont-ils des corps vides ...

le 18 mai 2016