Macbeth
7.4
Macbeth

Film de Orson Welles (1948)

Is this a movie which i see before me ?

Etrange objet filmique que celui-ci...

La première demi-heure est douloureuse : Welles s'occupe plus de sa caméra et de sa mise en scène baroque que du texte lui-même. Il met en place toute une symbolique primitive pour exalter les fureurs ancestrales de la pièce, mais en oubliant de faire vivre celle-ci : on est plus fasciné, lors de la tirade de la dague, par la mise en images du texte que par le texte lui-même, débité de façon presque monocorde, tout comme, lors des apartés, par le visage minéral de Welles que par ce que sa voix off récite. Les accents sont parfois tellement outrés qu'ils en étouffent le texte, au mépris de certaines répliques attendues. Une part de moi repense à ce délire, dans Black Adder, autour de "The scottish play"... et tente de s'immerger dans cette curieuse oscillation entre Welles et Shakespeare.

Puis, d'un seul coup, une fois la question du meurtre évacuée, alors que la folie et le remords peuvent enfin éclater, le miracle se produit : textes et images se confondent et le dispositif mis en place fonctionne. Je dévore l'écran des yeux : des ombres surgissent et rongent le visage des acteurs, des regards hallucinés se promènent sur des décors fantasmagoriques, chapeautés par des couronnes improbables (un escabeau ridicule pour un roi mal-assis sur son trône, une couronne d'épines métalliques pour un faux-martyre), des contre-plongées écrasent de tout leur poids ce roi fait par la violence et la langue perfide d'une femme, des brouillards lugubres et des cadrages serrés font ressentir l'asphyxie de ces personnages qui basculent peu à peu hors du cadre, acculés par la solitude, le remords, l'infamie. Des arbres fantastiques avancent en meute spectrale, des statuettes que l'on décapite renvoient l'homme à sa destinée de marionnette monstrueuse, des voix de sorcières surgissent hors-champ pour écraser, tétanisantes, l'anti-héros, d'un savoir qu'il ne saura interpréter.

Je reste glacée, figée par la fascination de cette tragédie outrancière qui joue avec des codes primitifs, des perspectives insolites, des visages aux peurs baroques, des mains qui se tordent pour tenter d'en évacuer la faute, des meurtres saccadés, des voix qui roulent leur démesure et leur angoisse, quand la prise de conscience de leur péché et de l'impossibilité à y échapper les saisit.

Le texte me revient en pleine figure, libre, furieux, superbe, exalté par des images à la force crépusculaire et à l'expressionnisme sauvage. Jusqu'à ce dernier plan, tableau presque gothique qui finit de l'imprimer dans une perspective minérale aux contours bruts.

Et Welles me rend mon bien-aimé Shakespeare, renforcé par son regard de titan. Merci.
LongJaneSilver
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le 26 mars 2014

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LongJaneSilver

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