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L’australien Georges Miller revient de loin pour présenter son Fury road. L’odeur de sueur, de sang et de pétrole s’est quant à elle évaporée du désert austral il y a trente ans, avec le troisième volet de la saga Mad Max : Au-delà du dôme du tonnerre. Qu’a-t-il fait, notre George du bush pendant ce laps de temps ? Entre productions peu rentables et réalisations animales, (nous lui devons les deux Babe ainsi que Happy feet premier et deuxième), il couvait patiemment la résurrection de son mâle alpha, avec qui il était loin d’en avoir fini. Il attendait de revenir en son territoire, aride, implacable et apocalyptique. Mais dans l’univers du guerrier de la route, il ne fallait pas s’attendre à un retour aux sources en douceur, à une œuvre marquant l’âge vénérable de son créateur. C’est qu’il en a encore dans les tripes, le George Miller. Le film qu’il nous livre est un film fantasme, hyper graphique, vif, chromé, monstrueux et incroyablement sauvage.


Ce n’est pas la séquence d’ouverture qui nous contredira en annonçant clairement un modus operandi à la surenchère. Testostérone, freaks badigeonnés, gros moteurs, sable et sang, le tout monté à cent à l’heure si possible. Mad max : Fury Road s’assume d’entrée de jeu et c’est très bien comme ça. Il n’est pas autre chose qu’une synthèse du délire déroutant et pertinent que peut être la saga Mad Max. La trilogie originale revendiquait des reliefs moralistes aux saillances politiques, dans une réalisation typique des films d’action survoltés et ultraviolents des années Reagan. Elle justifie tout à fait son actuel ancrage mythologique et mérite ses gallons. Pourtant, la première erreur à éviter serait justement de tenter une comparaison logique de Fury road avec les précédents opus. Il ne s’agit ni d’une sequel, ni d’un véritable reboot, mais bien d’une relecture, d’une refonte de la recette Mad Max, un remake.


« On prend les mêmes et on recommence ». Le background de Fury road est étonnement riche et superbement distillé dans le rythme du récit, sans entraver la frénésie de l’action. La logique hallucinée du film est cohérente avec elle-même dans ses moindres détails, vocabulaire unique, idéologie absurde, pragmatisme radical, etc. Tissé de clins d’œil appuyés à la saga, le film est de chair et de sang. Car c’est bien de corps dont il traite, si la réalisation est purement viscérale, l’exploitation du corps organique est aussi bien au centre de l’intrigue que de toutes les intentions visuelles. Déformations, mutations buboniques et autres extravagances de carnation morbides côtoient le beau et le sensuel, l’espoir. « It’s dangerous to hope ». La structure de l’univers du film oscille entre les pulsions de vie et de mort. Le roi-dieu immonde de la citadelle (Hugh Keays-Byrne) chérit ses épouses et les tient gardées comme génitrices, sources de vie. Il cultive des plantations, puise de l’eau des sous-sols et récolte les lactations d’une invraisemblable trayeuse humaine. En parallèle, il endoctrine ses guerriers dans une mythologie toute nordique de berserker, promettant à ses soldats en « demi-vie » un au-delà de héros au Walhalla s’ils meurent avec honneur au combat. Tous les personnages luttent entre ces pôles de vie et de mort et c’est à l’instant où ceux-ci sont enfin amenés à laisser s’exprimer leur libre arbitre que se dégage une matière qui aurait pu être motrice pour l’intrigue. Hélas, ces espaces pèsent trop légèrement dans la globalité du film.


À l’instar des aïeux de Fury road, c’est au moment où il faut prendre la mesure des enjeux directement exposés par les personnages que le bât blesse. Si le casting fait sans conteste mouche, il est difficile d’éprouver une réelle empathie pour les personnages, tant leurs espaces d’exposition sont peu présents. Le film entier se résume globalement à une infernale course poursuite, certes magistrale, mais laissant peu de place au développent de véritables enjeux au sein de son intrigue. La volonté de Miller est bel et bien de se donner les moyens d’un film en perpétuel mouvement, nous entrainant dans sa chevauchée dantesque en nous forçant la main. Et des moyens, il en a. Adieu les fonds verts, qui parasitent bien trop souvent les plateaux actuels. Les formidables machines sont de rouille et de métal, faisant aisément peser au public le poids de leur réalité physique. Elles chargent de concert, troquant le Wagner d’Apocalypse Now pour nous balancer les harmoniques grasses et électrisantes issues d’une valkyrie monstrueuse. Miller nous raconte son Mad Max en opérant un mélange de plans emblématiques, d’ellipses marquées et de séquences découpées à la hache dans un story-telling globalement agressif. Ce qui s’appréciera en fonction des subjectivités, mais qui peut également laisser un amer arrière-goût d’inconsistance. Rien à reprocher à la capture stricte de l’action, qui est sensationnelle et jouissive. Miller se fait plaisir, Miller fait des pieds de nez.


Mais Georges Miller a aussi le nez fin, il sait se mettre au diapason d’une certaine actualité, le bougre. Difficile en effet d’aborder le film sans considérer la place qu’occupent les personnages féminins. Ce qui est source de considérations aussi diverses qu’étonnantes dans la presse : Mad super Max serait-il copieusement châtré par quelques amazones steam punk dans l’inacceptable but de s’accorder les faveurs d’une croissante audience féministe ? Rassurons-nous il n’en est rien. Car la place prépondérante de Charlize Theron, Furiosa, au côté de Tom Hardy, notre Max, s’intègre avec un naturel confondant. Fury Road a indiscutablement une charge féministe et Miller jouera avec les clichés tout au long du film, en exploitant les faiblesses de chacun (des sexes) sans distinction. Quand la belle générale Furiosa arrête de jouer au petit soldat et trahi son ignoble maître, les cinq magnifiques femmes qu’elle arrache à la pince de ce dernier sont loin de faire de la figuration qui assurerait le quota de bombes à l’écran. Sensuelles mais pas débiles, fragiles mais pas faibles, ce sont les belles qui prennent (presque) toutes les décisions. Qu’en est-il de Max, qui débarque malgré lui dans cette cavale en dentelles vers la liberté, bientôt secondé par un certain Nux (Nicolas Hoult), « désendoctriné », qui retourne sa casquette sous couvert d’une romance qui, elle, est imbuvable ? Pas du genre loquace, Tom Hardy joue la carte minimaliste, pour ne pas dire du mutisme et ça marche (d’ailleurs, ça avait déjà fonctionné dans Drive avec Ryan Gosling). Max ne dit rien quand il n’a rien à dire. Il sait (presque) tout faire, il sait tout endurer et n’a pas besoin de le montrer. Jusque-là, rien de nouveau pour le mythe, sauf qu’il trouve ici un(e) alter ego de taille. Ce qui en résulte n’est pas de l’ordre du conflictuel, mais du respect mutuel entre deux fortes têtes convaincantes. Comme à son habitude, le loup solitaire quittera furtivement la meute une fois le danger écarté. Max remplit son cahier de charge et Tom Hardy réussit son intronisation sans rougir.


Outrancier et goguenard mais affuté, Mad max : Fury road n’est pas un mauvais film. Il est loin du réalisme pessimiste et post moderne actuellement privilégié par Hollywood, il est plus déjanté, grotesque et assume ses excès. Par-là, il s’émancipe de ses blogbusters concurrents. Il est libre, Max. En revanche il n’est pas difficile de ne pas l’apprécier, il faut pour cela refuser la main tendue par Miller et refuser le contrat expressément ludique. « Ça passe ou ça casse » Fury road a le mérite de ne pas s’éparpiller et d’appeler à une prise de position claire : le spectateur chevauche de concert, ou reste totalement hermétique à l’odyssée.

Ben_Ardent
7
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le 3 juin 2015

Critique lue 225 fois

Ben_Ardent

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