Des nombreuses adaptations à l'écran de « Madame Bovary », celle réalisée par Vincente Minnelli est la plus belle et la plus profonde. Première bonne idée, situer le récit comme un flash back explicatif lors du procès de Gustave Flaubert quant à son roman scandaleux, porté par la diction parfaite de James Mason. La seconde est de réhabiliter Charles Bovary qui apparaît comme un homme naïf, sensible, amoureux, mais faible et désespéré par l'amour à sens unique qu'il porte à cette beauté inaccessible, que Van Heflin interprète avec une sensibilité inattendue. Mais Emma, son épouse (si peu), ne parvient jamais à réintégrer le réel, prisonnière de rêves, fuite en avant dont il est exclu. Si la magnificence de la scène du bal peut faire croire à la transcendance très Minnelienne du rêve dans la réalité, le drame va se nouer. Prenant peu d'écarts écarts avec le texte, le cinéaste rend cependant une œuvre des plus personnelles, privilégiant ses thèmes favoris dans un drame, mais sans tomber à aucun moment dans un mélo de bas étage. Dans « The Pirate » Manuela (Judy Garland) affirme « Je sais qu'il y a un monde réel et un monde imaginaire, je saurai les reconnaître ». Emma Bovary ne le peut pas. Au contraire pour échapper à la médiocrité du monde qui l'entoure, elle couvre ses murs de gravure de modes, se plongeant dans des romans populaires, pour tenter d'introduire leur romanesque dans sa vie. Ainsi son mariage devient une fuite en avant. Accumulant les tentures , les bibelots, les meubles pour mieux accompagner son escalade vestimentaire dans des robes de plus en plus virginales dont l'apogée est matérialisée par une robe de bal éclatante de blancheur, très pièce montée à la chantilly de la pâtisserie extravagante. Sa relation avec l'élégant et superficiel Rodolphe Boulanger (Louis Jourdan) se comprend comme la clef qui lui ouvrira le paradis du romantisme absolu dont elle se veut l'icône alors qu'elle en est juste la prisonnière dans ses rêves irréalisables (1). Jennifer Jones fut sourcilleusement surveillée par David O' Selznik sur le plateau, mais Vincente Minnelli montra à nouveau la précision de sa direction d'acteur, l'élégance de sa mise en scène, avec le support de la musique de Miklos Rozsà, la direction artistique de Cedric Gibbons et les décors d'Edwin B. Willis et réussira un grand film, une fois de plus très personnel. Une version pour cinéphiles qui compareront avec celle très honorable de Jean Renoir (1934) Le grand public franchouillard et les intellos anti Hollywood préfèreront l'adaptation figée et poussive de Chabrol avec dans le rôle titre, une Isabelle Huppert congelée.
(1) « Pour moi, Emma est un personnage extrêmement complexe : elle vivait constamment dans un monde imaginaire, elle voulait que tout soit beau, et cependant autour d'elle, c'est le bourbier. Elle refusait cette situation et vivait au-delà d'elle-même, au-delà de ses moyens, Jennifer Jones voyait le personnage comme moi et fut excellente, parce qu'elle est elle-même une Emma Bovary, pleine de contradictions, très romantique. » Vincente Minnelli, de Marion Vidal, Seghers, 1973.