Une fois – je me souviens – un très bon ami à moi m’avait exprimé son étonnement face aux critiques que j’écrivais. Il me disait qu’il avait régulièrement cette drôle d’impression qu’au final je m’accrochais toujours bien plus aux défauts d’un film plutôt qu’à ses qualités. Or, pour le coup, j’avoue que j’avais eu du mal à lui donner tort. Moi, quand je vais au cinéma, c’est pour m’abandonner dans un film, c’est pour qu’on vienne me saisir… Alors forcément, quand une raideur, une facilité ou bien encore une maladresse me fait retomber dans mon siège, je le ressens, je l’identifie tout de suite et je le porte à l’écrit. Par contre, quand je suis transporté, j’avoue que parfois il m’en arrive d’y perdre mon esprit d’analyse, parfois même mon latin. Là, avec « Mademoiselle » je me suis retrouvé pendant 2h40 hors de mon siège. 2h40 d’un cheminement d’intrigue très riche, mis en scène avec une subtilité, une densité et une maitrise formelles qui me stimule à chaque instant, à chaque minute. Comment voulez-vous que je vous détaille tout ça ? Comment voulez-vous que je synthétisme la remarquable cohérence de ce tout ? Enumérer un à un les bons points reviendrait à décortiquer une œuvre qui se sublime justement par l’harmonie et l’unicité merveilleuses de tous les éléments qui la compose. Alors du coup, non, j’avoue que je ne me vois pas comment vous expliquer pendant des lignes ce qui, pour moi, fait la force de ce film. Je peux juste vous dire que ce que j’en ai ressenti et comment j’ai été amené à le ressentir. C’est vrai – peut-être – « Mademoiselle » pourra peut-être en surprendre quelques uns sur son amorce. Park Chan-Wook qui semble nous inviter à une sorte de tragédie romantique bien convenue, ce n’est peut-être pas désagréable, mais c’est surprenant, et surtout, ça semble limité. Et pourtant… Si le film annonce des parties, ce n’est pas un hasard. Au final, il y aura trois temps : trois temps qui en fin de comptes sauront rentrer en rupture les uns par rapport aux autres mais en sachant toujours habilement se compléter. Certes, quelques uns pourraient reprocher an film une mécanique scénaristique parfois un brin artificielle, mais ce serait ignorer ce qu’est au fond la véritable nature de ce film : une fable. Et pour une fable, je dois bien l’avouer, l’ami Park a su me conquérir par son audace et la cohérence de sa démarche. Qu’il enchaîne à sa bluette innocente une seconde partie qui nous fait glisser tout vers un spectacle plus malsain, ça c’est audacieux. Et c’est d’autant plus appréciable que l’audace est payante. Très rapidement, Park nous montre que du porno chic au voyeurisme malsain, il n’y a au fond qu’un pas.


(Je dois avouer d’ailleurs que j’ai été scotché par cette scène où, habilement, Park dresse un miroir face à nous, questionnant notre posture face à son film. Ne sommes-nous pas ces Bourgeois qui se délectent d’une friponnerie condamnable, mais dans laquelle nous nous sentons bien car un cadre culturel adéquat semble justifier notre prise de plaisir ?)


Et là où Park m’a définitivement conquis, c’est lorsqu’il entend aller encore au-delà dans son troisième temps ; un temps de révolution ; un temps qui transfigure l’œuvre à travers un récit émancipatoire qui se gonfle rapidement d’un souffle révolutionnaire aussi bien discursif qu’esthétique. Au final, voilà que ce film, après nous avoir étreint, après nous avoir invité à toutes les émotions, nous laisse finalement en paix, avec un regard porté sur la femme ; un regard porté sur la culture de domination ; un regard porter sur le cinéma – son cinéma… A la fin, on retrouve un Park modeste mais seigneur. Un Park qui nous rappelle qu’il n’est qu’un simple réalisateur à la recherche d’histoires grivoises ; mais un réalisateur qui malgré tout a conscience que par sa manière de raconter, par les détails et les sous-entendus, par les emprunts à toutes les cultures et traditions de la mise en image, par ce que l’on montre et ce que l’on cache, on peut explorer de multiples variations dans le plaisir ; qu’il s’agisse du plaisir lubrique, comme dans le plaisir de l’art. Et comment ne pas adhérer à sa démarche lorsque le maître y associe aussi bien sa forme à son propos ? Quand le chemin du plaisir qui nous est tracé passe par l’émancipation, le partage et la recherche commune de l’exaltation, moi je ne peux qu’y adhérer. (Et qu’importe les quelques rallonges coquines superflues… Park s’est fait plaisir, après tout, grand bien lui fasse.) En tout cas, pour moi, le plaisir a été amplement partagé. Merci donc « Mademoiselle »… Enfin pardon. Peut-être que, face à un film aussi mure et aussi noble, devrais-je plutôt dire « Madame »…

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5

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