L’ex-égérie de Bergman propose une nouvelle version de Mademoiselle Julie dans une adaptation fidèle, respectant le texte et la complexité de Strindberg. Au risque d’être un peu sage.

Liv Ullmann aime radiographier les histoires de couples. Toute sa filmographie tourne autour de cette thématique. Il était presque normal que la cinéaste norvégienne rencontre Mademoiselle Julie, classique des classiques du répertoire scandinave et marivaudage sombre sur une histoire d’amour prise dans l’étau des conventions. Durant la nuit de la Saint-jean, Julie, la fille d’un riche propriétaire terrien (Jessica Chastain) entame un étrange jeu de la séduction avec Jean, son valet (Colin Farrell), sous les yeux de Kristin, la cuisinière (Samantha Morton) elle-même en couple avec le valet. Cette quinzième adaptation cinématographique (la plus fameuse étant celle de Alf Sjöberg, Palme d’or 1951) permettra à certains de découvrir le chef d’oeuvre de Strindberg (a fortiori, le casting glamour du film permettra d’amener le grand public dans les salles obscures). Le texte est ainsi préservé dans toute sa complexité et ses retournements émotionnels. Et rien que pour lui, le film mérite d’être vu. Mademoiselle Julie et Jean appartiennent à deux mondes différents, vivants à côtés mais séparés par un abime de conventions. La Saint-Jean, fête païenne, offre une faille dans ce mur social et Julie et Jean ne vont cesser de se rapprocher, de se repousser dans un vertigineux et ambigu jeu de pouvoir où la passion et la raison reprennent sans cesse le dessus l’un sur l’autre. Les serviteurs mais aussi les bourgeois ne sont pas libres, victimes de leur carcan social, et se doivent de respecter un code de vertu, une « Règle du Jeu » (pour citer le film de Renoir), non écrite mais d’autant plus forte. On peut parler de prédestination et comme dans toute tragédie, une issue fatale est dès le début inéluctable.

Liv Ullmann délocalise l’action de la Suède vers l’Irlande du Nord. Mais que l’on ne s’y trompe pas : elle fait le choix d’une adaptation fidèle, respectant presque en totalité la règle des trois unités. Il n’y a que les trois personnages de la pièce, pas un de plus (à la différence du Sjöberg ou du Mike Figgis) ; et si l’on entend les villageois donner de la voix derrière une grande porte, on ne les voit pas. Son adaptation est sans doute trop respectueuse mais affiche des réussites quand elle s’abroge du texte. Ullmann étend le rôle de la cuisinière, sortant du Kristin de la simple position de témoin/voyeur. Dès lors, portée par un Samantha Morton impressionnante (y compris dans son physique adipeux), elle influe fortement sur le dilemme amoureux de Julie et de Jean. Tour à tour victime et tireuse de ficelle, elle se transforme en une sorte d’ogresse fragile qui trouve dans sa servitude et la fidélité à ses codes la seule manière de rester fière. Ullmann se permet en ouverture de film d’aérer son récit avec un flash-back sur l’enfance de Julie : on la suit dans une balade campagnarde ; une scène champêtre qui fait écho à l’aveu de Jean à sa maîtresse, lui révélant que l’ancienneté d’un amour né lorsqu’il faisait le mur pour découvrir la fillette jouer dans le jardin.

Car Mademoiselle Julie a les défauts de ses qualités et tombe parfois -et c’est sans doute inéluctable – dans la seule représentation d’un théâtre bien filmé. La mise en scène est un peu académique, jouant sur l’espace et le décor et sur la composition de ses acteurs : à ce jeu-là, Chastain apparaît juste (sans doute un peu agé pour le rôle), Farrell, sans doute mal à l’aise dans ce registre, en fait un peu trop…En même temps, si sa présence, associée à sa partenaire glamour, permettra à plus de monde de découvrir l’oeuvre de Strindberg, tant mieux !
denizor
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le 10 sept. 2014

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denizor

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