Juno Temple est sur tous les fronts depuis le génialissime « Killer Joe », dont elle aime recycler la partition de femme-enfant paumée à tendance schizo. Cette fois, elle intervient dans un film aux ambitions singulières : très « carrerien » dans son sujet (une virée entre jeunes tourne au cauchemar pour l'un d'eux, coucou « La Classe de neige »), faussement teen movie dans son traitement (Michael Cera, échappé de « Supergrave », en acteur et coproducteur) et tourné en plusieurs langues par un metteur en scène lui-même habitué des drames polyglottes (Sebastian Silva a travaillé comme assistant réalisateur pour Inarritu et Malick). Sur le papier, l'association des trois ne manque pas de piquant et il faudrait être sacrément blasé pour n'en rien attendre. Pourtant, au final, c'est un sentiment mitigé que délivre « Magic Magic », qui par certains côtés tient davantage du film préformaté pour rafler la mise à Sundance que du brûlot espéré. Soit, donc, Alicia (Juno Temple) en vacances forcées avec des amis de sa cousine sur une île au Chili. Elle ne connaît personne, eux à l'inverse se connaissent déjà, forment une bande soudée à laquelle elle devra s'intégrer. Problème, personne n'est vraiment disposé à l'y aider : pas la Chilienne, animée d'une véritable haine à l'égard des Blancs des Etats-Unis, pas le copain de sa cousine absente, qui rechigne à adresser la parole à cette fille réservée, pas non plus le personnage de Cera, petit con notoire bloqué au stade anal qui préfère parler avec ses amis en espagnol et faire des blagues de cul. La première barrière à l'intégration d'Alicia sera la langue, les autres seront le caractère propre des individus, et tout cela sera aggravé par sa fragilité psychologique.
Au début, le film fonctionne assez bien, les personnages ne sont pas caricaturaux, chacun fait des efforts pour intégrer Alicia qui a peur. Michael Cera, particulièrement, excelle dans son rôle d'ado lubrique et immature : il est bête et vulgaire au point d'en être parfois angoissant, la difficulté que le spectateur a à prévoir son comportement, ses étranges saillies d'humour ou de violence gamine mettent mal à l'aise (notamment une séquence de pogo improvisée bien glauque). Avec Temple, c'est le meilleur acteur du film, lequel agit la plupart du temps comme un anti-teen movie, appuyant sur la veulerie et la bêtise de ses personnages en en éludant l'aspect courageux et fraternel qui fait le sel d'un « Supergrave » : tous sont méchants et lâches sans trop l'être, dépourvus de sympathie mais pour autant assez crédibles. On ressent bien la solitude et l'égarement éprouvés par Alicia face à ces trois amis prenant un plaisir égoïste à la déstabiliser un peu. Pourtant cela ne durera pas. C'est malheureusement dans la première moitié du film que Silva épuisera toutes ses cartouches, brossant ce portrait crédible de vacances entre amis légèrement vénéneuses. Le rythme s'essouflera peu à peu, quand la folie d'Alicia dépassera certaines bornes et que le scénario se gavera de petits détails inutiles qu'on a mis là « pour faire genre » : le meurtre d'un oiseau, un avortement secret, un mouton se noyant, le racisme éhonté du personnage de Catalina Sandino Moreno... plein de petits éléments glauques et gratuits dont l'accumulation fatigue. Alicia finit logiquement par péter les plombs dans cette ambiance de fous, ce qui se comprend trop. Le scénario s'embrouille, part dans une exagération outrancière dont les dernières minutes versent dans un ridicule manifeste, on comprend à peu près où veut en venir Silva (l'inspiration d'un certain « Vinyan » semble planer, maladroite) mais ça ne fonctionne plus très bien. Il aurait fallu plus de mesure, plus d'intimité, peut-être faire davantage confiance aux interprètes sans forcément chercher la démonstrativité dans le scénario. « Magic Magic » reste un bon film, avec des scènes relativement géniales (la danse sous hypnose de Temple, un peu gratuite mais magnifique) mais il perd de sa superbe par ce souci excessif d'évidence qui finit par ennuyer, alors qu'il aurait été tellement plus judicieux de continuer sur cette lancée initiale naturellement efficace.