J'aime trop l'audace, l'originalité, et l'inventivité pour crier à l'imposture... trop l'audace, oui.
Combien osent, combien veulent, combien surprennent ? Combien surprennent...
Je passe mon temps à regretter les idées frappées en plein vol, à maudire les ambitions bridées, à attendre les sentiers abandonnés. Alors je ne peux en vouloir à ce film... je ne peux, mais un peu, en vouloir à cette oeuvre... je ne peux, mais un peu, vouloir une autre histoire.
Avant de décoller, il faut bien une terre à quitter. Alors on fait une fondation terre-à-terre au récit, on plante un décor, on invente un contexte. On présente, sans folie, mais la folie guette, on présente, sans folie, car la folie doit attendre, on présente, sans folie, mais on se dit... Je ne crois pas à ce qu'on me présente. Ce début est étrange, car il nous fuit. On présente, sans folie.
Mais cette histoire a son grain de folie qui ne sait attendre; il débarque en fracas. Il se jette dans le vide, sans nous dire d'où il part, il commence son numéro sans voir si on le suit. Son grain de folie qui ne sait attendre... Mais c'est une péripétie comme nulle autre, de celle qu'on ose si peu. Sans verser dans le fantastique, sans se chercher une raison. C'est une idée chorégraphique, une idée folle ; on la jette car c'est une idée qui tient tout un récit, qui est récit elle-même.
Mais c'est un peu dur de la suivre ainsi. On ne sait pas où on s'est jeté, et on se demande si quelqu'un l'a jamais su.
D'emblée, le film devient burlesque, à peine son choc des corps intervenu : un ministre poursuit de ses avances une danseuse qui ne danse pas, son alter ego sur les talons. Et le film dévoile déjà quelques limites ; délire entre deux, trop ou pas assez; seconds rôles perdus entre grotesque et sérieux, au cabotinage peu maîtrisé; rythme inégal, comme si l'on avait trop peur de la folie de son idée folle. La folie d'une idée folle...
C'est un bateau qui ne s'éloigne jamais des côtes, même s'il finit par voguer : l'histoire finit par nous accrocher, on lui pardonne ses tours et détours car on attend inconsciemment le grand projet qui créa cette idée folle.
Puis on accepte, petit à petit ; le projet se tenait seulement dans cette idée folle, et dans les à-côtés que l'escapade pourrait entraîner. On est comme cette autre danseuse qui elle, danse ; on n'espère plus autant. On n'espère plus vraiment... Mais ce petit monde qui n'existe pas véritablement, ce choc des univers interrompu en chemin, ces personnages irréels ont quelque chose d'attachant. Et parfois, alors que l'idée folle a replié un peu ses ailes, nous rêvons là où on ne l'attendait pas ; moment de grâce où une conteuse murmure, comme un souffleur de théâtre, les solitudes de l'amour à trois dans l'appartement d'en face...
Puis, très vite, trop vite, on met fin à l'étrange sortilège, le charme est rompu. Le charme est rompu...
Et cette idée que nous n'avions qu'effleurée ?
Puis le film continue quelque temps, assez de temps pour se demander s'il n'était pas prévu un autre film dans le film : était-il vraiment attaché à cette idée folle, cet amour étonnant et ce voyage sans paroles (beau moment, mais tellement à part... tellement ailleurs).
Peut-être fallait-il, pour faire brûler cette idée folle, la sortir de tout contexte trop construit ; imaginer mille et un pas de danse volés à l'autre, partout, frénétiques, insatiables, inattendus, éreintants pour nous peut-être...
Donnez tout le plateau à vos idées folles, faites-les tout emplir. Faites-les tout emplir... Alors, peut-être que dans ces fulgurances, on trouvera le liant à tout cela, le fil d'Ariane. Peut-être que ce sera au spectateur de chercher un récit dans la chorégraphie.
Mais ne donnez pas trop de cadre à vos idées folles, ne les attachez pas aux ancres. Pas aux ancres, vos idées folles...
Je ne sais pas pour vous, mais j'ai cru voir entre les lignes de la main, dans la main, les rivages d'un autre film. Peut-être que celui-ci m'aurait déçu. Mais elle m'a bien manqué, à demeurer là-bas, cette idée folle.
Elle est restée là-bas, cette idée folle...

Oneiro
5
Écrit par

Créée

le 3 juil. 2018

Critique lue 293 fois

8 j'aime

7 commentaires

Oneiro

Écrit par

Critique lue 293 fois

8
7

D'autres avis sur Main dans la main

Main dans la main
takeshi29
4

Valérie, il est peut-être temps de lâcher la main de Jérémie, tu ne crois pas ?

J'avais follement aimé "La Guerre est déclarée" (1), film généreux, sorte de grand cri d'amour à la fois à la vie, au cinéma... et à Jérémie Elkaïm. Et ce qui avait certainement été un moteur pour...

le 24 avr. 2013

18 j'aime

5

Main dans la main
PatrickBraganti
2

Critique de Main dans la main par Patrick Braganti

Il faut se rendre à l'évidence : le troisième film de Valérie Donzelli, dont on avait apprécié le premier opus et surtout beaucoup aimé et défendu le deuxième, est un ratage, pire un prétexte à...

le 19 déc. 2012

14 j'aime

2

Main dans la main
Analytik
7

Rencontre avec l'amour

C’est sans une once d’hésitation que je me suis précipité dans la salle de cinéma lors de l’avant-première, organisée il y a maintenant quelques semaines. Je n’étais pas le seul à attendre...

le 19 déc. 2012

11 j'aime

4

Du même critique

Dead Man
Oneiro
5

Il y a tout, et pourtant...

C'est d'une ambition folle, si personnelle que tout le monde ne peut hélas accrocher. Pourtant ça démarrait bien, pour moi. Depp est dans son rôle, le montage est déroutant, la photographie et le...

le 1 févr. 2013

47 j'aime

6

Joker
Oneiro
7

La danse du meurtre

"Je ne pourrais croire qu'en un Dieu qui saurait danser", écrivait Nietzsche. Peut-être faut-il alors aussi faire danser le diable pour le rendre crédible. Le laisser échapper de courts instants au...

le 19 oct. 2019

22 j'aime

22

Chanson douce
Oneiro
6

Doute amer

Comme ils sont étranges, les deux segments ouvrant et fermant ce récit. Ils semblent échappés d'une autre réalité, sans lien avec cette histoire (ils sont accompagnés de quelques visions du futur...

le 26 avr. 2018

21 j'aime

9