Après deux chefs d'oeuvre d'une beauté formelle peu commune ( Sombre et La Vie Nouvelle ) et une promenade poétique d'une radicalité salutaire ( le confidentiel Un Lac ) Philippe Grandrieux nous livre donc en 2016 son quatrième long métrage de fiction : le bien-nommé Malgré la Nuit, objet plastique pour le moins décevant compte tenu du prestigieux passif de son auteur.
Alors que Sombre témoignait d'un sens du récit pour le moins inattendu, étonnamment homogène et que La Vie Nouvelle s'imposait magistralement comme une expérience pratiquement immersive Malgré La Nuit semble se situer à mi-chemin des deux premiers films de Grandrieux : une sorte de film bâtard perdu entre les expérimentations poético-réalistes de Sombre et l'atmosphère vrombissante, mêlée de heurts et d'indécence, de La Vie Nouvelle... En résulte une oeuvre disparate, quasiment malade au coeur de laquelle le cinéaste en arrive à un niveau de redondance finalement assez vain, regrettable voire carrément décourageant pour le néophyte.
Il va donc sans dire que Malgré la Nuit s'agit bien d'un film de Philippe Grandrieux, puisque sa recherche créatrice de formes nouvelles s'y perpétue avec une évidence certaine. Comme toujours le film est traversé de fulgurances, d'éclats visuels et sonores suffisamment rares dans le cinéma actuel pour être relevés. En ce sens les quarante premières minutes sont une réussite totale, avec un soin particulier accordé au silence et aux éclairages surexposés... Puis peu à peu l'expérience proposée déconcerte, agace et déçoit, sans doute en raison de la longueur considérable du métrage et d'une auto-citation esthétique proche de l'onanisme.
On a surtout le sentiment que Grandrieux grille toutes ses cartouches dans le premier quart de son film, pour ensuite s'embourber dans un enchaînement de lieux communs. Si l'artifice assumé de Sombre, La Vie Nouvelle et Un Lac ne posait pas de problème en définitive ( dans la mesure où la forme y faisait corps avec le propos, que l'incarnation demeurait impeccable, nous laissant croire à l'incroyable... ) il déroute ici plus qu'autre chose ; certes Grandrieux filme toujours comme peu d'autres artistes ( capable de sublimer une peau vieille et flasque, une volute de fumée, une main crispée sur un sexe... ) mais le film sonne de plus en plus faux à mesure qu'il avance. On regrette que le cinéaste se mette peu à peu à y calibrer son propre style, d'autant plus qu'il nous reste bon nombre d'images superbes au sortir de la projection.
Malgré la Nuit ne demeure au final qu'à moitié réussi, sans doute en raison d'une baisse de régime impardonnable dans sa deuxième partie. Il est bien difficile de se laisser porter par un récit fait de bric et de broc, trop filandreux pour convaincre sur la durée. Une déception majeure.