Malgré la nuit est peut-être la dernière preuve que le romantisme cinématographique français n'est pas mort. Il y a bien le récent Love de Gaspard Noé, vision polémique d'un romantisme essentiellement sensitif mais basé sur le corps et les sécrétions. Ici, le romantisme se fait avec les mots, les sons, les superpositions d'images. Des superpositions assez expérimentales, déjouant les climax narratifs de chaque morceau de film afin de livrer à terme une partition multichrome déstabilisante. Une partition qui ose parfois se répéter, s'allourdir, allonger inutilement le temps, et j'aimerais dire pour mieux reprendre la cadence ensuite mais ce serait faire preuve de trop de bonne foi. Car, comme la nuit, le film de Gandrieux reste opaque à notre intellect, rendant ardue toute analyse. Heureusement, le film éveille au moins tout autant nos sens, pour peu que l'on soit sensible à une poétique presque naïve des mots et du montage. Naïve parce que le film ne cherche pas de vérité profonde, d'élévation de l'âme par le romantisme, au contraire Gandrieux semble vouloir la ramener vers l'abîme, ou plutôt à un aspect primitif, du moins instinctif.
On pourrait même penser qu'une partie des dialogues, principalement minimalistes, énoncent des vérités toutes faites dans un style de jeunes parisiens privilégiés peu marqués par la vie, que viendraient appuyer quelques plans de fameux monuments. Néanmoins, c'est pour mieux déjouer cette assurance plus tard, dans une visée qui n'est pas dramatiquement manipulatrice envers le spectateur, mais purement viscérale.
Malgré la nuit est pour l'instant mon film favori de 2016 pour une simple raison : malgré sans doute vingt minutes en trop, c'est le seul film qui m'aura fait sortir de la séance avec une boule au ventre. Le seul film qui m'aura semblé venir d'une autre dimension, une dimension onirique, sensitive, cauchemardesque, traumatique, presque divine aussi parfois.
Malgré la nuit déstabilise, mélange des collages chromatiques chantés à des scènes de pure violence choquantes, des scènes de vie inoffensives à des souvenirs cachés d'enfance. L'extase esthétique rejoint la profondeur traumatique, le récit fictionnel se suspend à l'exploration psychique. Quel autre film de cette année peut en dire autant ?
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