Sortie en 2014 en Corée du Sud, le 17ème long métrage de Jin Jang arrive enfin dans les salles sombres de France, et vu le peu de films de ce réalisateur nous parvenant, nous ne pouvons que nous réjouir de cet « évènement ». Après The Strangers de Na Hong-jin sortie il y a 2 semaines et Black Stone de Gyeong-Tae mercredi prochain, le cinéma sud-coréen est mis à l’avant durant ce mois de Juillet 2016.
La première chose que remarque le spectateur est bien évidemment le sujet traité. En effet, comme le veut une tendance certaine depuis quelques années, l’homosexualité ainsi que la transsexualité deviennent des thèmes de plus en plus abordés par les films car très d’actualité (questionnement de l’identité sexuelle, du genre…). Et il est aujourd’hui bien plaisant d’en voir un enfin réussir à traiter clairement et précisément son sujet, sans pour autant partir dans des morales moroses, provocatrices et/ou de bonne conscience. Il ne cherche pas à partir dans des extrêmes et prendre parti, mais plutôt à traiter ces 2 sujets sur tous les aspects, toutes les possibilités, tous les cas de figure, tout en apportant à la fin, par obligation, une réponse qui est toute sauf définitive. Dans un sens, il permet d’ouvrir le débat et de comprendre ce phénomène récent, ce que pensent les gens d’eux, ce qu’eux pensent d’eux-mêmes, comment on les perçoit. On ne les prend pas par la pitié ou la compassion, mais comme des êtres humains qui se disent justement « être malades ». Le film est conscient de ce qu’il aborde et est informé sur la chose. Il évite de déblatérer des évidences-mêmes et de se baser dessus afin d’avancer son argumentation, il est construit sur de vrais témoignages et évolue en même temps dans le monde de la police/mafia et le monde du travestissement et histoires chirurgicales.
Chirurgicale justement, c’est le meilleur adjectif que nous pourrions prendre afin de décrire les combats de cette œuvre. Comme très souvent dans le cinéma asiatique, la chorégraphie est toujours de mise, prend une place très importante, et ici, elle ne manque pas du tout à l’appel. Chaque coup, chaque impact se ressent. Les mouvements sont très fluides et ont chacun un intérêt propre (on évite les gesticulations inutiles « pour faire classe »), et même quand l’action semble quelque peu brouillonne, on comprend très rapidement ce qu’il vient d’arriver et tout s’enchaîne très rapidement. Le film ne lésine pas avec les effets gores et met en scène plusieurs techniques afin de montrer la puissance et les frappes du héros, Yoon Ji-wook : arrachage de langue à main nue, bâtonnets d’encens plantés dans le cou, visage scarifié par les arêtes d’un parapluie, et plus encore…
Le final d’ailleurs se rapproche beaucoup d’un Old Boy de Park Chan-wook ou même A Bittersweet Life de Kim Jee-woon, que ce soit dans la narration ou même le côté spectaculaire, tout en évitant de laisser le spectateur sur sa fin. A noter qu’il est facile également de féliciter le travail qui a été effectué sur le rythme du film ainsi que sur sa structure, d’où la non-présence de temps mort ou même de scènes de remplissage inutiles. Celui-ci ose même quelques scènes comiques qui arrivent quand même à faire mouche malgré le ton très sombre de l’histoire qui nous est racontée.
La mise en scène générale du film est également très inspirée, sait se faire discrète quand il est nécessaire et s’exprime à travers les personnages et leurs mouvements. Il y a un dialogue permanent entre la caméra et le montage qui permet de traduire l’instrument cinématographique comme un personnage intègre de l’histoire. La photographie est également très travaillée et s’adapte très facilement aux différents lieux. Chaque environnement est retranscrit de façon stylisée et très souvent colorisé, évitant le côté terne que l’on retrouve très facilement dans ce genre de film policier/noir. Ainsi, malgré le ton très sérieux, on se retrouve face à des décors très « joviaux » et évitant de décrire Séoul comme une ville pourrie de bas-fond rempli de badboys.
La musique est également très surprenante. En effet, on pourrait s’attendre à soit de la musique d’ambiance se faisant très discrète, servant juste à appuyer les moments de tension ou de suspense, soit de la musique électronique très punchy servant à rythmer l’action et le film, comme le montre la première scène du film dans la boîte de nuit, mais il en est tout autre. Nous faisons face à une bande son de type très acoustique, mélangeant les morceaux de guitare sèche (rappelant un peu le tango, expliqué par les talons aiguilles, et peut-être une référence à Pedro Almodovar ?), des morceaux de piano avec des notes jouées à l’envers ou encore des violons avec un piano, musiques créant une atmosphère nostalgique et mélancolique durant les scènes de flashback ou de dialogue. Durant les scènes de combat, celle-ci est directement plus dynamique, avec l’ajout de trompettes et d’une batterie, donnant l’impression même que les personnages se battent au rythme de la musique.
Même si elle peut dérouter au début, la bande son s’intègre facilement au film et ne semble pas être en décalage avec le sujet traité. Au contraire, elle se met à fonctionner avec et rentre en symbiose avec celui-ci.
Cependant, le plus gros point faible à noter ici sera la distribution désastreuse et quelque peu honteuse de ce film : seulement 4 salles dans Paris. Une bien triste nouvelle pour ce polar transgenre, cette œuvre qui réussit enfin à comprendre le monde qui l’entoure et qui réussit à l’expliciter clairement.