Après le célèbre pneu tueur de Rubber (2010) ou encore le blouson en daim maléfique de Le Daim (2017), Quentin Dupieux nous propose, dans Mandibules (2020), de rencontrer une mouche géante.
Un beau matin d’été, Manu – un trentenaire simple d’esprit et sans domicile fixe – se voit proposer une mission : il doit aller chercher une mallette secrète chez un certain Michel-Michel, la mettre dans le coffre de sa voiture puis l’amener à une adresse précise, le tout sans chercher à savoir ce qu’elle contient. Alléché par les 500 euros qui lui sont promis, Manu vole une voiture – car, bien évidemment, il n’en possède pas – et va chercher son meilleur ami, Jean-Gab, afin qu’il l’accompagne dans sa mission. Après avoir roulé quelques minutes, les deux compères prennent conscience que le coffre de la voiture volée (voiture, qui, aussi surprenant que cela soit, a une plaque d’immatriculation vaudoise) produit un bruit étrange, inhabituel. À l’intérieur s’y trouve une gigantesque mouche. C’est alors que Jean-Gab à une idée, au lieu d’aller récupérer la mallette, ils dresseront la mouche et feront fortune grâce à elle.
Un film français au pitch si absurde ne pouvait qu’être l’œuvre de Dupieux. Le réalisateur qui s’occupe généralement aussi de la direction photo, du montage et de la bande-son de ses métrages, est également connu pour ses choix d’acteurs intéressants. Et si son Mandibules marche, c’est principalement grâce au duo fantastique créé par Grégoire Ludig et David Marsais – collaborateurs de longue date dans les vidéos humoristiques du Palmashow. Les deux comédiens interprètent ce genre de personnages, auxquels ils sont habitués, avec une facilité déconcertante. Qui plus est, il y a, dans leur seule présence à l’écran quelque chose de jubilatoire et bien souvent hilarant, tant l’alchimie qui les lie est tangible.
Passé le scénario simple mais efficace et les jolies performances qui le parsèment, ce qui peut gêner dans Mandibules c’est que sa forme ne nous dit rien. Elle nous montre, certes, l’action qui se déroule efficacement, et l’on notera quelques beaux plans disséminés çà et là, aux quatre coins du film. Mais il n’existe rien de plus prévisible et programmatique que la mise en scène de ce long-métrage : de toute évidence, ce n’est pas sur la créativité formelle que le réalisateur comptait mettre l’accent pour ce métrage.
Mais n’y a-t’il pas quelque chose derrière cette absence, pour un auteur généralement attaché aux trouvailles visuelles ? L’explication de ce manque se trouve peut-être dans le message que le film semble vouloir faire passer. Car, effectivement, la proposition de Dupieux peut être lue comme un éloge à la naïveté : ses personnages principaux, si ignorants mais si heureux, en sont la preuve. Ce qui compte lorsque l’on regarde Mandibules, c’est d’être naïf, de se laisser prendre par une narration burlesque portée par un duo génial, le tout sous un soleil de juillet. Il faut savoir être dans cet instant de cinéma sans avoir à se mettre à distance, sans tout intellectualiser en permanence . De ce point de vue, l’instant de succulente candeur que propose le long-métrage ne serait qu’entaché par une mise en scène trop élaborée, trop complexe. Mandibules concrétise, par sa forme, une sorte de lâcher prise : le film est intentionnellement simple, naïf, et cela fait beaucoup de bien.
Ce que l’on pourrait, alors, reprocher au film, c’est que le moment de niaiseries jubilatoire qu’il nous propose ne dure que trop peu de temps. Après les septante-sept minutes de visionnage, nous sommes laissés sur notre faim : l’on dégusterait avec plaisir une part supplémentaire de cette absurde drôlerie, si rare et originale au sein du cinéma français.