Quentin Dupieux est un cas unique dans le cinéma comique français. Un film par an, pas plus de quatre-vingts minutes par long-métrage, un univers bien à lui : surréaliste, jubilatoire et inattendu. Il est ici scénariste, directeur photo, il ne compose plus la musique de ses films comme ici mais sa femme assure la direction artistique à ses côtés. C'est du cinéma d'auteur, en drainant toujours à peu près 200 voire 300 000 spectateurs en salle, crise ou non.


Tout pour ronronner et pourtant, justement, Dupieux n'a de cesse de se renouveler et c'est là le contrat tacite entre Dupieux, ses producteurs et le public : un film toujours different mais toujours avec le même pilote. Et, quoiqu'il fasse, quand bien même change t-il ses focales, ses caméras, sa manière d'éclairer, d'appréhender son découpage, de mixer ses films, ils portent tous la même "griffe Dupieux" par la liberté de son écriture et de son amour immodéré envers ses comédiens.


Dupieux fait du cinéma comme un artisan. Il écrit relativement vite, en laissant son imagination voguer, voire même dériver. Peu de réécriture, si ce n'est pour les dialogues, de plus en plus ciselés, répondant à un seul rythme : le sien. Écoutez une interview de Dupieux et vous vous rendrez compte que les comédiens, chacun à leur manière, reproduisent ce même phrasé. Dujardin dans Le Daim, Chabat dans Réalité ou Lelouche dans Fumer fait tousser - pour les plus fameux - sont des cas d'école.


Cependant, cette méthode d'écriture quasi automatique, si elle a ses vertus - comme de ne jamais avancer sur des territoires narratifs et/ou visuels balisés et de toujours surprendre en "baladant" de tous côtés le public - elle a également ses limites, le manque inhérent de structure amenant Dupieux à me perdre en cours de route. En ce qui concerne Mandibules, à partir du moment où nos deux héros quittent la villa, j'ai cru sentir que Dupieux avait fait le tour de la question et que la suite du film avait pour seule utilité de rallonger le métrage pour en faire un long.


Ce qui est arrivé récemment à Bertrand Blier (on compare souvent Dupieux à Blier et, plus bas, je vous ferai part de l'analogie que je dresse entre Mandibules et Les Valseuses), sur son dernier opus Convoi Exceptionnel, quoique lui s'en est aperçu sur le tournage et il devra rajouter des jours de tournage pour improviser le dernier quart de son film (Ce qui me semble ubuesque puisque la/le script.e préminute le scénario, je suis curieux de savoir comment en sont-ils arrivés là).


Dupieux repart alors dans un absurde plus gratuit, moins efficace, qui m'a paru forcé, comme pour se maintenir éveillé lui-même et ses spectateurs. Il en profite pour y justifier le titre (car une mouche n'a pas de mandibules, même chez Dupieux). Cependant, la fin est très réussie, aussi surprenante qu'amusante, un excellent point car je suis sorti de la salle l'oeil rieur mais mon humeur était un peu plombée par cette dernière partie largement dispensable.


Cela n'a cependant pas entaché le plaisir que m'a procuré Adèle Exarchopoulos. C'est LA révélation comique de ce long-métrage. Je l'estimais comme une comédienne hors-pair mais sa vis comica étourdissante fût une véritable révélation. Dupieux eût l'audace et le pif pour l'engager ELLE et pas une humoriste. Son choix est symptomatique de son univers : il voit ce que l'on ne voit pas et nous surprend par l'efficacité de son acuité et de son sens artistique pourtant totalement à contre-courant.


Chaque scène lui permet d'exploser (au sens propre comme figuré), servie par des répliques très amusantes et une direction d'acteur couillue et rudement efficace. L'association Dupieux/Exarchopoulos est digne du duo Adam McKay (real) et Will Ferrell (acteur). La réussite de la tentative, si casse-gueule au départ, tient au culot et au génie de Dupieux/Exarchopoulos d'aller aussi loin et si fort en étant toujours irrésistiblement juste. Il me tarde de la voir revenir chez Dupieux, afin d'explorer d'autres terres comiques encore jamais défrichées chez cette artiste dotée d'un immense talent. Sa participation à la série La Flamme, me confirmera l'amour transi que je nourris envers cette comédienne.


Pour en revenir au duo McKay/Farrely, les papas de Frangins malgré eux, le duo vedettes de Mandibules - Le Palmashow - s'inscrivent dans cette droite lignée. Jouer avec justesse et drôlerie des "teubés" n'est point chose aisée, bien au contraire. Ludig et Marsais parviennent à le faire haut la main, notamment grâce aux dialogues écrits par Dupieux et sa manière de les monter.


Tous les cinéastes musiciens comme Dupieux, Poiré, Serreau, Girault, ou même Michel Blanc sont des pointures en dialogues et en montage ou, du moins, ils ont une vision très atypique et précise de la rythmique entre le rythme des syllabes, l'accent tonique et les plans qui découpent le tout tel un métronome.


On retrouve aussi une bonne dose de Valseuses dans leur complicité. Leurs coupes de cheveux nous rappellent lointainement celles de Depardieu/Dewaere tendis que la fin m'est apparu comme un hommage au final des Valseuses. Quand Depardieu annonce : "On est pas bien, là ? Paisibles. À la fraîche. Décontractés du gland. Et on bandera quand on aura envie de bander", cela fait écho au personnage incarné par Ludig (dont la coiffure est un transfuge de celle de Depardieu d'ailleurs) qui déclare - en substance - à son vieux pote, alors que leur plan à foiré : "Tu sais quoi ? En fait, on s'en fout ! Ouais, on s'en fout ! Car l'important, c'est l'amitié". Dupieux a ainsi parfaitement paraphrasé à sa manière l'essence même des Valseuses : l'important, c'est d'être bien, pas besoin de penser au lendemain tant qu'on est ensemble. Comme quoi, même chez Dupieux, il y a une morale finale, à l'image d'une fable dadaïste.


Pour l'anecdote : il n'y a qu'une seule musique dans Mandibules, que l'on savoure à l'entame puis au final du long-métrage. Dupieux a demandé à son ami leader du projet Metronomy de lui concocter un morceau dans l'esprit du générique de La Chèvre. Le morceau est une réussite totale et m'a fait regretté cette époque bénie des comédies francaises des années 60/70/80 où chaque comédie avait une couleur musicale claire et définie, une ligne mélodique dédiée. Dupieux est le seul metteur en scène français dont les BO me font vibrer et ce même, mis à part avec son Mandibules, sans avoir recours à une B.O style Cosma, au contraire. Ses choix sont toujours aussi justes que déroutants et rien que pour cette démarche, je le remercie chaudement.







ThibaultDecoster
7

Créée

le 19 déc. 2022

Modifiée

le 19 déc. 2022

Critique lue 32 fois

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