Fine est la frontière de la vraisemblance quand un genre rebattu encore et encore se couple à des démonstrations sur-maniérées pour se faire remarquer. Mandy de Panos Cosmatos, second exercice de ce dernier, plonge dans cette fébrile abysse en s’accaparant le film de vengeance sauce série B dans un élan rétro et hallucinogène. Le mélange qui promettait de prime abord quelque overdose a finalement séduit et secoué la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, et pour cause : au-delà de ses cimes emphatiques se cache un death-trip sous acide à l’envoûtement aussi surprenant qu’indéfinissable.
Sur un fil narratif proprement prosaïque, le film s’expose en prenant son temps, construisant le duel entre la romance et la menace, l’idylle et l’enfer, dans ce qui ressemble formellement à un rêve cotonneux. Les manières évidentes de Cosmatos pourront agacer plus d’un dès les premières secondes, ses effets lumineux, ses nappes pourpres, son bruit numérique, ses sur-impressions imposantes, ses titres tape-à-l’œil ou encore son ambiance sonore saturée, enveloppant le métrage dans des nimbes méta-baroques absolument agressives… Mais très vite s’y dessine une aura inexplicable et efficiente, un quelque chose entre le sublime et le glaireux qui agrippe et donne envie de se perdre, donnant corps à l’expérience première et ici totalement assumée : une hallucination de l’amour pulvérisée par un bouillonnement nostalgique éminemment contemporain.
Cette destruction qui relève de la chimère brise alors le film en deux, d’un sacrifice trauma qui nous fait passer du rêve au cauchemar, de la longue exposition poétique à la vendetta ultra-violente dont les références clarifiées déchaîne un ton kaléidoscopique. En ressort la plus belle surprise du film : redécouvrir Nicolas Cage derrière une performance monstrueuse et débridée, touchant et hilarant, se révèle être le plus grisant, étrange cristal dans les ténèbres qui reflète cette polyvalence du métrage entre le dramatique et le pastiche. Dans une texture auparavant mélancolique mais désormais tentaculaire, sacrifiant la passion lynchienne face à l’addiction barkerienne du mal, se multiplient les séquences tranchantes et sauvages dont la seule limite est l’indicible de leur horreur : on retiendra le design poisseux de monstres endoloris et vénérés, ou encore un duel épique à la tronçonneuse, le tout sur fond des nappes magnétiques de feu Jóhan Jóhansson.
En bout de course, Cage se tournera vers la caméra avec un sourire maniaque, tel la mise en abîme de l’expiation d’une dizaine d’années de galère devant la caméra. Ce parfum méta aura probablement raison des spectateurs indifférents, significatif d’une expérience formelle (trop ?) conscient et multi-référencé. Qu’importe, le talent de Cosmatos pour invoquer de l’hypnose romantique une transe horrifique fait mouche, réalisant avec Mandy une vendetta mystique sous acide, porteuse d’un noir cosmique, exorcisme scintillant à la transcendance esthétique aussi ensorcelante qu’une cuite orgiaque. À chacun d’en apprécier les effets secondaires.
https://obscura89.wordpress.com/2018/10/02/530/