Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

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Il y a un côté de l'ensemble (et donc de Fincher !) que j'admire sans réserve ici : nous sortir un film sur le Hollywood des années 1920 aux années 1940, en noir et blanc, avec une belle palanquée de noms qui ont façonné le cinéma de l'âge d'or (mais qui ne diront absolument rien à la plupart des spectateurs d'aujourd'hui !) à une époque pompée par Disney-absence d'ambition artistique-CGI et Cie. Moi, je dis "bravo".


Là, où je dis "bravo" aussi, c'est sur le visuel du film. On retrouve des points de vue de la photographie (cette profondeur de champ notamment, merveilleux !) et des décors, ce qui fait l'essence de Citizen Kane. David Fincher est de ceux qui maîtrisent le plus à la perfection l'outil technique. Ce qui fait que si je ne suis pas surpris par sa capacité à accomplir un tel prodige, j'ai quand même envie d'applaudir. Ah oui, pour le son, il est de notre modernité, mais quand j'entends à l'autre bout du fil un caverneux "This is Orson Welles", je crois réellement que c'est Orson Welles au téléphone, sorti du monde des morts, pour venir jouer son propre rôle. Bon, Tom Burke qui le joue n'a pas une part négligeable dans le truc, bien sûr, il faut rendre à César ce qui est à César.


La distribution justement... ! On en a l'habitude, Gary Oldman est prodigieux. Il est totalement dans la peau de Herman J. Mankiewicz, donnant l'impression d'être un hobo alcoolique ayant atterri on sait comment dans un milieu de blindés aux as sans scrupules et qui est parvenu à s'y faire plutôt bien voir. Le reste des acteurs est à la hauteur, même si tout le monde n'a pas eu un rôle aussi consistant qu'il le méritait. Mais je vais y revenir.


Donc, le sujet, (il est temps !), le film va nous raconter comment Herman J. Mankiewicz va en venir à "trahir" l'ultra-puissant et l'ultra-riche et l'ultra-mégalo William Randolph Hearst et la maîtresse de ce dernier, Marion Davies, qui ont été pourtant bienveillants avec lui (dans les limites d'une bienveillance de ce monde de requins qu'était la Mecque du cinéma, cela s'entend !) en rédigeant ce qui sera le sommet de sa carrière de scénariste, Citizen Kane, qui s'inspire fortement de la vie de Hearst, dans tout ce qu'elle a de plus fascinante et de plus scandaleuse. Film qui devra autant à lui qu'à Orson Welles lui-même (il est à préciser que le film occulte le fait que ce dernier a retravaillé ensuite le matériau fourni par Mankiewicz !).


Oui, c'est ça, l'histoire, ce n'est pas le tournage du futur chef-d'oeuvre lui-même puisque 99 % du film se déroule avant. Ce ne sont pas les relations entre Mankiewicz et Welles non plus, résumées à quelques conversations téléphoniques et à une engueulade en face-à-face pour laquelle le second descend enfin de son Olympe. L'histoire, écrite par le père de Fincher, Jack, c'est pourquoi Citizen Kane ?


Et là, le bât blesse selon moi, car je trouve que Mank ne parvient pas à répondre à cette question.


D'abord, un point sur certains personnages mal exploités.


La délicieuse Lily Collins, en secrétaire qui tape le scénario d'un Mankiewicz, coincé sur un lit à cause d'un accident de voiture, est ici pour apporter une pointe d'émotion, mais son rôle est tellement attendu, son évolution aussi, qu'on n'en tire rien de spécial.


Autre déception et pas des moindres, le frère du protagoniste, Joseph, (oui, le futur réalisateur de génie, pour lequel, au passage, votre serviteur a une admiration sans borne !). Là, il y aurait pu avoir un apport émotion efficace à travers les relations qui lient les deux membres de la famille. Mais le futur metteur en scène d'All About Eve se contente de dire à chaque fois qu'il apparaît "oh, mais tu vas t'attirer des problèmes avec ce scénario, Herman". Il n'y avait vraiment pas possibilité de faire quelque chose d'autrement plus consistant avec lui ?


Bon, pour ce qui est du pourquoi de Citizen Kane. Pourquoi Mank, comme il est surnommé, choisit tel un Don Quichotte d'aller se battre, impuissant, contre un milieu puissant dans lequel il s'était fait une belle place ? Parce qu'il a une conscience sociale ? Parce qu'un de ses amis s'est suicidé, désabusé à cause de sa conscience sociale ? Parce qu'un candidat bien propre de l'establishment (qu'il a un peu aidé en s'occupant de propagande filmique !), bien soutenu évidemment par les médias et Hollywood, gagne face à un écrivain ayant une conscience sociale ? Peut-être, sûrement, mais ce n'est pas bien mis en avant, traité trop rapidement et superficiellement. On n'a pas l'impression d'une descente par à-coups ou éventuellement d'une prise de conscience fracassante qui fait que notre personnage principal va se décider à aller à l'encontre de ses intérêts. C'est un peu trop léger de ce côté-là. On n'a pas l'impression que les choses arrivent naturellement, vont de soi.


Ah oui, la satire du monde hollywoodien. Cela reste dans le prévisible et il n'y a rien de bien féroce. Il suffit de comparer à Sunset Boulevard ou à certains Aldrich (certes (sauf What Ever Happened to Baby Jane? qui est un bijou !), ses derniers un peu trop lourds, maladroits, mais n'hésitent pas, eux, à verser des litres d'acide, à bien tacher !). On n'est jamais dans le subversif, dans la tension, on ne dépasse jamais les limites de l'acceptable. Pourtant le précédent film de Fincher, c'est Gone Girl, qui est un joyau de satire bien subversive et bien tendue sur l'Amérique (j'aurais pu aussi bien citer à la place Fight Club, voire The Social Network !). Donc le Monsieur est à mille lieues d'être un manche pour cela.


Bref, c'est la première fois qu'un Fincher, un des rares cinéastes d'aujourd'hui dont je sois un fan absolu, me déçoit (il y a bien Alien 3 aussi, mais Fincher avait tellement peu caché son profond mépris pour son propre film que je n'y étais pas allé avec de grandes espérances, au contraire de Mank ; pour Zodiac et Panic Room, j'en attendais rien de particulier étant donné que je ne connaissais pas aussi bien le Monsieur à l'époque où je les ai vus !). Déception renforcée par le fait qu'il y a d'énormes qualités, des caractéristiques tellement audacieuses et intéressantes, citées précédemment, que c'est dommage que le scénario ne soit pas du même niveau.

Créée

le 7 déc. 2020

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Plume231

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