Maradona par Kusturica par pierrick_D_

Don't cry for me Argentina.Quand un serbe cinglé rencontre un argentin dingo,ça donne ce documentaire baroque d'Emir Kusturica sur Diego Armando Maradona,footballeur de légende.Présenté hors-compétition au Festival de Cannes 2008,le film a été tourné sur plusieurs années,au gré des disponibilités et des humeurs de l'ex champion.D'ailleurs Kustu a visiblement manqué de matière et meuble pas mal en se filmant lui-même,en insérant des morceaux de ses films,en abusant d'extraits de matches et en repassant les mêmes ou en montrant les activités de cette étrange "église maradonienne" où l'on marie des fans et célèbre des baptêmes où il s'agit de reproduire le fameux but que la star avait marqué de la "main de Dieu".Il y a cependant assez d'images et d'interviews de Diego pour étancher la soif de renseignements du spectateur,le tout étant livré dans une certaine confusion,sautant du coq à l'âne et mélangeant les époques,le point de repère principal restant le tour de taille du sportif.Kusturica suit donc son sujet un peu partout,dans des stades,des meetings,des restaurants,des boîtes de nuit,des émissions de télé,dans la maison misérable de son enfance,dans les rues,chez ses parents,il le fait même venir chez lui,à Belgrade,et le fait revenir sur le terrain de l'Etoile Rouge sur lequel avait autrefois joué l'argentin.Mais le plus intéressant reste les entretiens entre les deux hommes,dans lesquels Maradona raconte tout et se livre sans retenue,avec une lucidité et une franchise étonnantes.Ce gamin des bidonvilles savait dès l'enfance qu'il deviendrait une vedette du foot,et c'était une évidence pour tout le monde.Les images de ses buts sont parlantes,ce mec aimantait le ballon et savait tout faire avec.Démarrages de bolide,conduite de balle parfaite,changements de direction imprévisibles,vision du jeu immédiate,dribbles déroutants,précision diabolique dans les tirs,buts marqués dans des angles invraisemblables,ce type était un magicien du foot,ou un sorcier,un génie de ce jeu comme il y en a eu très peu,seuls Kopa,Pelé,Cruyff,Platini et Messi ayant atteint un tel niveau.Evidemment Kustu ne nous montre que des coups de maîtres,jamais ses tirs non cadrés,ses contrôles ratés ou ses attaques neutralisées par les défenseurs,mais son palmarès parle pour lui.Des buts en veux-tu en voilà et des titres à la pelle,vainqueur de la Coupe du Monde avec l'Argentine,en Espoirs et en A,champion d'Argentine avec Boca Juniors,deux championnats d'Italie et une Coupe UEFA avec Naples,et le but du siècle marqué avec la sélection nationale contre l'Angleterre lors du Mondial 86,en traversant balle au pied la moitié du terrain tout en éliminant sur son chemin la moitié de l'équipe adverse.Ca,c'est pour le footballeur,l'homme est plus controversé mais pas inintéressant car Diego est fou mais loin d'être con.Star adulée,il a connu la gloire et la fortune et s'y est brûlé les ailes.Il a tout gagné sur les terrains mais a cédé aux sirènes de la débauche inhérente à la vie de people.La coke,l'alcool,les putes,le dopage,les liens avec la mafia lors de ses années napolitaines,et puis la chute,les performances en baisse,les arrestations,les gardes à vue,les malaises,les hospitalisations,les comas,l'obésité.Diego raconte tout ça frontalement,sans se cacher ni chercher d'excuse,et fait même son autocritique.Il avoue que ses comportements déviants ont gâché une carrière qui aurait pu être plus brillante encore,que ça l'a empêché de profiter de sa famille,sa femme et ses deux filles,et il rend hommage à son épouse Claudia,restée à ses côtés contre vents et marées,car il est clair que nous ne serions pas grand-chose sans nos femmes.Et puis il cause politique aussi,et ça découpe méchamment.Aussi riche et célèbre qu'il soit,il est au fond resté le gamin des bas quartiers,celui qui jouait au foot dans des terrains vagues jusqu'à la nuit,jusqu'à ne plus voir le ballon.Castriste,guevariste,il est fasciné par Cuba et porte en lui ce mélange d'allégresse explosive et de spleen dévastateur qui traverse toute l'Amérique Latine,et plus particulièrement l'Argentine,le pays de Peron,Videla ou Bergoglio,mais aussi la patrie de Guevara,Evita et Maradona,l'état de la dictature et de la faillite,mais aussi du tango et du foot.Dans la foulée il dévoile sa haine du capitalisme prédateur,du pillage des richesses,de la main-mise des USA sur les états pauvres,des manipulations tordues et des guerres artificiellement provoquées.Et ça tacle sévère sur Bush,la CIA,le prince Charles,les politiques argentins corrompus,l'UEFA,Havelange,Blatter et Agneli.C'est là qu'on touche à l'explication du culte Maradona.Ce type n'est pas qu'un footeux surdoué,il a redonné leur fierté piétinée à des peuples entiers.La Coupe du Monde 86,et particulièrement la victoire sur l'Angleterre,a vengé les argentins de l'humiliation de la Guerre des Malouines.Les titres nationaux avec Naples ont signé la revanche de la miséreuse Italie du Sud sur la riche Italie du Nord,ce qui explique les émeutes provoquées par la moindre apparition de l'icône dans la cité napolitaine.Kusturica se régale visiblement à filmer ce phénomène et truffe son film de musiques latinas formidables,dont beaucoup sont à la gloire de Diego,il en interprète même une lui-même,la touche finale étant apportée par le swinguant "La vida tombola" de Manu Chao.