Chiara Mastroianni et Benjamin Biolay avaient déjà tourné ensemble dans Chambre 212, incarnant un couple fracturé par le temps. S’ils se retrouvent dans Marcello Mio, ce n’est plus la rupture sentimentale qui intéresse Christophe Honoré. L’actrice incarne son propre père, légende du cinéma italien qu’est Marcello Mastroianni. En pleine crise identitaire, le personnage voit son attitude toute changée, ses mimiques plus « cinématographiques ». Elle pense devenir le fantôme de son père, et non plus l’inverse. Son petit monde est affecté, de sa mère, ses amants jusqu’au milieu du cinéma.


Sur le papier, ce projet est intéressant. Le jeu de rôle sur Marcello étant d’autant plus crédible que le visage de sa fille lui ressemble beaucoup, il est dommage qu’Honoré ne développe qu’une approche qui lui est autocentrée. Il n’y a jamais autre chose que des conflits de l’entre-soi entre les individus à l’écran, tous bien rangés dans leur case sociale. Le piège est de ne faire de Marcello qu’un trouble pour sa fille et non davantage pour les autres. Le cinéaste utilise un Fabrice Luchini gaguesque à son habitude, sans faire grand chose du rapport entre l’héritage de l’acteur et le regard du spectateur.


Se complaire dans les références n’aide pas, surtout quand elles se répètent à ce point. Les scènes sur la fontaine de Trevi (la Dolce Vita) ou la rencontre sur le pont (Nuits Blanches) ne sont pas franchement intéressantes. Leur mise en scène est anecdotique, leur traitement encore plus superficiel à ne les considérer uniquement comme des péripéties affectant Chiara dans une faible mesure. Le rêve introductif laisse place au doute, davantage que le reste dont la trajectoire est toute balisée pour son public cannois. Il s’agit de revenir à ses racines pour se retrouver, et faire la paix avec ses amis. Ni plus, ni moins.


Dans ce cas, pourquoi évoquer le cinéma par bribes ? Par moments, l’actrice se perd dans un jeu théorique à ne plus trop savoir à qui elle correspond. Ces passages sont les plus évocateurs, quand les autres se comportent en petites gens. Ce que l’on attend d’elle devient flou, accepté par un admirateur et profitant à un amoureux transi. Puis, tout retombe à plat pour en revenir à sa relation avec Deneuve et Poupaud. Dommage, il y avait davantage à faire sur son état de non-travail tel qu’Honoré voulait l’exploiter.


La musicalité de son cinéma est intégrée efficacement, bien qu’il soit dommage d’utiliser des morceaux non-originaux lorsque Biolay et Mastroianni chantent déjà à tue-tête. Cela ne contribue pas à rendre l’œuvre moins pompeuse, où le mystère n’existe pratiquement pas. S’il s’agissait d’y mettre un peu de poésie, Marcello Mio peut se reposer toutefois sur le jeu d’expression de la comédienne. Merveilleuse dans la reproduction des gestes et de l’attitude de son père, elle excelle à ce titre.


Détachée de tout travail photographique, la séquence télévisée la laisse seule face au regard de tous, prise pour ce qu’elle n’est pas. Cette détresse est déstabilisante, constituant le meilleur d’un exercice effleurant trop son sujet.

William-Carlier
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2024 : Et la vie continue... et Festival de Cannes 2024

Créée

le 22 mai 2024

Critique lue 528 fois

5 j'aime

William Carlier

Écrit par

Critique lue 528 fois

5

D'autres avis sur Marcello Mio

Marcello Mio
EricDebarnot
7

Ricordi della dolce vita

On n’avait pas particulièrement envie de voir Marcello Mio, en dépit de notre amour pour l’immense Marcello Mastroianni, et de notre goût pour la filmographie de Christophe Honoré, tout simplement...

le 26 mai 2024

11 j'aime

Marcello Mio
SurLaRouteDuCinma
9

C'est Marcello

Une séance photo à la fois hilarante, lamentable voire humiliante ouvre le film. Grimée en Anita Ekberg, Chiara Mastroianni sous un rideau d'eau, chaussée de bottes en caoutchouc, pose dans une...

le 22 mai 2024

7 j'aime

Marcello Mio
Electron
6

Marcello, c’est elle !

Étonnante Chiara Mastroianni : fille de, elle réussit malgré tout à exister par elle-même. Mieux, avec des parents tous deux célébrités en tant qu’acteur (Marcello Mastroianni) et actrice (Catherine...

le 26 mai 2024

5 j'aime

Du même critique

Frère et sœur
William-Carlier
1

Et... ta mère aussi !

Il n’est jamais agréable de constater le piètre jeu d’un acteur que l’on apprécie, surtout lorsqu’il est dirigé par un auteur. Le film d’Arnaud Desplechin est une souffrance constante, paralysée par...

le 23 mai 2022

37 j'aime

3

Black Panther: Wakanda Forever
William-Carlier
2

Pour les enfants

Il n'était pas possible d'attendre quoi que ce soit de ce deuxième volet du déjà très oubliable Black Panther, pour la simple raison qu'il n'y avait encore rien à ajouter à la matière très fine de...

le 20 nov. 2022

20 j'aime

1

Sans filtre
William-Carlier
7

Shitty Ship

Ruben Östlund ne met pas d’accord son public, qu’il avait un peu offusqué lorsque The Square avait remporté la Palme d’Or. On disait son style irritant, son propos social prétentieux en plus de...

le 29 sept. 2022

19 j'aime