15 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Marie-Octobre (Danielle Darrieux) réunit les anciens membres du réseau de résistance auquel elle appartenait. Elle leur apprend que l’un deux est responsable de la descente de la Gestapo à leur QG en 1944, qui a coûté la vie au chef du réseau. Et que le traître ne sortira pas vivant de cette réunion…
Dans son détestable penchant pour les raccourcis malheureux, l'histoire contemporaine n'a pas épargné la Seconde Guerre Mondiale et ses suites, induisant trop souvent l'idée que plus un Français était fidèle au gouvernement du maréchal Pétain, plus il était un traître, tandis qu'inversement, plus il était engagé dans la Résistance, plus il était un héros. Evidemment, une telle vision relève du manichéisme pur et dur, et montre une méconnaissance totale du caractère ô combien complexe de cette époque, une des plus controversées de l'histoire de France. Cette vision, c'est justement celle que rejette Julien Duvivier dans Marie-Octobre, un film étonnant qui n'oublie pas de prendre en compte l'immense complexité de l'époque dont il se fait l'immortel témoin.
En effet, le film de Julien Duvivier témoigne d’une belle absence de manichéisme en s’appuyant sur un scénario malin (quoique sans surprise), ainsi que des personnages bien écrits, quoique pas très attachants, incarnés par des acteurs tous aussi exceptionnels les uns que les autres. A travers ce huis-clos, écrit par Jacques Robert d’après son propre roman et mis en dialogue par le grand Henri Jeanson, le réalisateur nous montre qu’au sein de la Résistance pouvaient coexister le meilleur et le pire. De ces hommes qui furent peut-être des héros en 1944, il ne reste plus rien en 1959. Si Marie-Octobre réunit ses anciens amis qu’elle a perdu de vue depuis 15 ans, ce n’est pas pour renouer avec eux, mais pour remuer un passé dont tous ont fait table rase. Que lui apportera de savoir qui a trahi, maintenant que tous sont repartis à zéro ? Rien du tout, et c’est bien le constat aussi cruel qu’éloquent que tire la fin, dans sa grandeur tragique. Marie-Octobre a vécu 15 ans avec le poids du doute, elle vivra désormais avec celui de la culpabilité.
Ces hommes qui se réunissent pour désigner un coupable ne sont plus des héros ; s’ils clament vouloir venger l’honneur de leur ancien chef, c’est bien la haine qui domine, et les personnages de Simonneau (« Sais-tu ce qui va sortir de ce vote ? Du mépris et de la haine ! ») et de Le Gueven l’ont bien compris. Ce dernier, dont le rôle de prêtre n’est bien sûr pas anodin, l’illustre à travers sa magnifique tirade finale, dans laquelle il en appelle à la conscience de tous, afin de leur montrer la vacuité qui caractérise toute forme de vengeance : « Au nom de quelle justice le condamnez-vous ? (…) Qu’est-ce qu’une justice sans pardon ? Sans indulgence ? Sans pitié ? ». Ainsi, tous les résistants qui se trouvent chez Marie-Octobre, tous ces hommes qui préfèrent l’exécution sommaire à un jugement impartial, valent-ils vraiment mieux que l’ennemi qu’ils ont combattu pendant plusieurs années ?
Cette terrible question, c’est celle avec laquelle on sort de ce film dur et poignant, aux nombreuses faiblesses scénaristiques compensées par des dialogues brillantes, qui dissèque l’âme humaine avec une effrayante justesse, et finit par nous renvoyer à notre propre image. Car dans notre monde forgé par la Libération et ses violentes passions, dans un monde qui a renoncé à tous ses fondements chrétiens, dans un monde d'opportunisme et de mensonge, ne trouve-t-on pas cette même incapacité, ce même refus de pardonner, plus vif que jamais ?
Et qu’est-ce que le refus du pardon, sinon une forme de barbarie ?