1946 voit le retour au cinéma français de Jean Gabin, après un exil américain (car il a refusé de travailler pour les Allemands), et plusieurs années dans la guerre où il en ressortira physiquement changé.
Gabin se rend compte aussi qu'il ne peut plus jouer de beaux gosses comme avant la guerre, et qu'il a désormais des rivaux, plus jeunes que lui, comme Gérard Philippe ou Daniel Gélin (qui est d'ailleurs dans le film).
Pour son retour français, Gabin a initié un roman qui l'intéressait, Martin Roumagnac, a réuni une équipe technique de talent, et surtout, a la possibilité de jouer pour la seule et unique fois avec sa compagne de l'époque, une certaine Marlène Dietrich. D'ailleurs, Gabin se rend vite compte que le réalisateur, Georges Lacombe, n'est pas à la hauteur de ce qu'il aurait voulu, et ce sera lui qui filmera les scènes avec Marlène.
Martin Roumagnac est l'histoire d'une passion secrète entre une femme très distinguée et un entrepreneur dans le bâtiment. L'homme est sincèrement amoureux de cette femme, mais pour elle, du mois au départ, ce n'est qu'un jeu, une friandise en attendant un autre homme dont la femme est sur le point de mourir. Mais ce qui n'était qu'une passade devient un amour et elle va devoir faire un choix, qui s'avèrera dramatique...
Ce qui ressort du film est cette passion entre Dietrich et Gabin qui se voit, qui se sent, et où l'Allemande a l'air d'avoir des étoiles dans les yeux pour son homme. C'est aussi une différence de classe, entre le type qui préfère rester chez lui loin des gens, qui est mal à l'aise dans un diner mondain, et la femme qui aime sortir, faire la fête, et qui vit dans un monde bien plus huppé.
On pourrait classer ce film dans la catégorie des mélodrames, avec de superbes scènes lyriques où Gabin et Dietrich gambadent dans la nature, vont faire l'amour dans une grange (avec un fondu au noir sur une porte qui se ferme de manière très suggestive), et tout ça sous les yeux d'un village qui a du mal à accepter cette liaison, ce qui aura son importance dans l'histoire...
Entre Martin Roumagnac jusqu'à Touchez pas au grisbi, Jean Gabin en parlait comme sa période grise, celle où il n'est pas encore revenu dans les sommets qu'il avait quitté dans les années 30, jusqu'au film de Becker où il règnera en maître sur le cinéma français. Pourtant, cette période décriée a vu de très beaux films, comme La vérité sur bébé Donge, Au-delà des grilles ou encore Le plaisir, et j'ajouterais ce film-là. Pour la folle passion Gabin/Dietrich (qui se sépareront peu de temps après la sortie du film), pour le sujet ô combien sombre (avec une fin très cruelle et fortement inspirée du film noir, soulignons d'ailleurs la photo), et pour le retour réussi de Gabin qui, avec son début de cheveux grisonnants, réussira peu à peu un retour triomphal dans le cinéma.