Marvel contre les super-costumes
Nouvelle usine à blockbusters, Marvel s’est rendu incontournable en seulement quelques années. Même Obama se sent obligé de faire des blagues sur Iron Man. Mais le numéro 1 du comics revient de loin puisqu’il s’apprêtait à mettre la clé sous la porte il y a moins de vingt ans.
C’est à ce retournement de situation, ce sauvetage surréaliste de la «Maison des idées» qu’est consacré le docu Marvel Renaissance, résultat de trois ans de travail des Français Philippe Guedj (fondateur du site Daily Mars) et Philippe Roure (à qui l’on doit déjà l’excellent Marvel 14, les super-héros contre la censure). Un sujet de niche, mais destiné à un public plus large que les geeks bercés à Strange et Nova. Comme dans tout bon comics, la question des origines est essentielle. 1991 : Marvel est pris d’euphorie. Tout juste rachetée par Ronald Perelman, l’entreprise entre en Bourse. Même si le marché du comics perd entre 5 000 et 10 000 lecteurs par an, il est artificiellement gonflé par la multiplication de numéros collectors. Les investisseurs sont optimistes, l’action grimpe. Quelques rachats plus tard, retour à la réalité. La bulle s’effondre et Captain America et Cie se retrouvent avec une dette de 500 millions de dollars. La direction essaie d’écoper les dettes en utilisant la branche édition. Des vagues de séries sont lancées, mais les lecteurs décrochent.
Devant la caméra de Guedj et Roure, les artistes expliquent qu’ils restaient persuadés que «les "costumes" savaient ce qu’ils faisaient». Au moins jusqu’en 1996, moment où Marvel est placé en redressement judiciaire. Attiré par l’odeur du sang, un financier entre dans la danse : Carl Icahn, habitué à prendre des parts dans des boîtes et à saouler les actionnaires jusqu’à ce qu’ils l’éjectent avec un gros chèque.
Mêlant paroles d’artistes, d’avocats, d’ex-hauts responsables de Marvel, le docu prend l’allure d’un thriller juridique et économique à la Margin Call, notamment lorsqu’il s’attarde sur le combat entre Icahn et Perelman pour le contrôle de Marvel. «C’était comme voir Galactus et le Silver Surfer se battre au-dessus de nos têtes», explique Mark Waid, auteur emblématique.
L’avenir du comics se joue dans ce bras de fer, mais il aurait pu tout autant porter sur des fabriques de soutien-gorge tant le fond est déconnecté de la forme. Marvel Renaissance décrit le processus de déconnexion de la réalité qu’impose le monde de la finance. La brutalité des titans de Wall Street est d’autant plus tétanisante qu’elle relègue les créatifs au rang d’enfants à peine autorisés à savoir ce qui se joue au-dessus de leurs têtes. Quelques claquements de portes et réunions secrètes plus tard, Marvel s’offre une fin heureuse grâce à un duo venu du monde du jouet. Des sauveurs qui sont loin d’être des saints - notamment Ike Perlmutter, actuel PDG de Marvel, père Fouettard entouré de légendes (il porterait en permanence un flingue sur lui…). Mais la vente de licences à la Fox et la création d’un studio de ciné assure l’indépendance de la branche BD.
Un statu quo qui convient à Mickey, nouveau proprio de Marvel, racheté 4 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros). La clé de l’histoire est livrée par Avi Arad, l’autre «chevalier blanc» : «Marvel a besoin des livres. Ils sont la bible, les gardiens de la flamme.» En somme, pour bien se diversifier, il est nécessaire de garder l’activité principale au centre de la machine.