Difficile de s'atteler au remake d'un film quasi parfait comme le Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper (1974). "Parfait" dans le sens où le résultat est à la fois tellement calculé et accidentel (les fameux décors avec la viande pourrie qui faisait vomir tout le monde sur le plateau) que le film parvenait à développer en quelque sorte ses propres codes cinématographiques, comme un langage dans le langage. La particularité des grandes oeuvres est bien de s'inscrire dans l'insconscient collectif, et Massacre à la tronçonneuse par Tobe Hooper, c'est, à l'époque, un véritable électrochoc sensoriel, une imagerie effroyable qui se nourrit des pires peurs de l'inconscient civilisé.
Le cannibalisme social, avec son fracas de corps assimilés aux carcasses du bétail (les plans des abattoirs en début de film), la dégénérescence putrescive des liens familiaux, entre mariages consanguins et consommation de chair humaine. Bref, un petit aperçu des enfers par le futur réalisateur de Poltergeist (wink wink), qui ne mesurait peut-être pas à l'époque à quel point son film allait traumatiser des générations de spectateurs, d'ailleurs persuadés d'avoir vu gicler à l'écran des flots d'hémoglobine pourtant introuvables. Impossible, donc, d'approcher Massacre à la tronçonneuse comme un vulgaire slasher à dépoussiérer, comme un film gore un peu vieillot à qui donner un coup de jeune - filmé, emballé, c'est pesé, et collez moi ça dans les menus McDo. Rude tâche à laquelle se sont donc attelés le jeune Marcus Nispel et son Michael Bay de producteur, que celle de retravailler un film aussi mémorable...
Assurément, Marcus a le sens de l'image, et ça le sert plutôt bien. Son remake, alors qu'on pourrait le craindre aseptisé et gentiment sulfureux, de cette déviance un peu polie qui ne fait finalement bondir que deux ou trois culs-bénis ("non", dit l'héroïne en refusant le pétard qu'on lui tend), son remake, donc, joue à fond la carte du cradingue, clichés rednecks du trou-du-cul-du-fucking-Texas et mouches qui volent sur un cochon en décomposition à l'appui, quitte à y aller à grand coups de filtres brumeux et d'éclairages de stade de foot pour parvenir à installer un climat propice à une peur sourde et glaçante.
Las, au lieu de distiller le malsain, Nispel nous tartine des kilos de plans glauques, plutôt très chouettement photographiés - par le même chef-op que celui du film de Hooper, c'est à noter - et souvent gratinés question barbaque fraîche et tortures de facture médiévales. Dommage que le film ne soit à l'image de ses deux premières minutes, terrifiantes (la descente du flic dans la cave façon Documents Interdits), et que Nispel n'ait pas bien compris que le gore le plus outrancier ne remplacera jamais - jamais - l'horreur traumatique des images distanciées de l'original. Ici, on met le nez dedans, on tranche des jambes, on coupe des bras, Nispel filme - très bien - des têtes et des bouts de doigts empilés, et puis ? Et puis rien. Super effets spéciaux, les gars.
Massacre à la Tronçonneuse, le remake, n'est donc pas le film propre et gentillet attendu, tant mieux. On est malgré tout loin du grand film malade de Tobe Hooper, dans lequel l'héroïne hystérique, au bord de l'extinction de voix, attendait comme un bovin agonisant le coup de maillet salutaire. Un pan d'horreur absolue sur pellicule, à vous priver de respiration pendant 5 minutes. Ici, Jessica Biel préfère se promener en body ultra moulant pour nous faire profiter de ses fort jolies doudounes pendant tout le film, tandis que Nispel cadre consciencieusement son muscle fessier, pour le moins expressif. La récompense : une scéance totalement gratuite de t-shirt mouillé (les sprinklers dans l'abattoir). Ok.
En technicien de l'image fort avisé, Nispel sait qu'il n'y a rien qui ne se fixe mieux sur la rétine que ce genre de procédés presque subliminaux mais ô combien efficaces. Jessica court, Jessica crie, Jessica se comporte comme dans beaucoup de slashers, pas mieux, et fait ce qu'elle peut pour faire oublier le jeu de ses collègues, pas terrible non plus. R. Lee Ermey en tête, totalement ridicule en shérif crapoteux, et pas crédible une demi seconde. Quant à Leatherface, réduit à sa portion congrue, il court avec sa tronçonneuse, comme le dernier psychopathe du coin, et se fait même couper le bras. On se fout un peu de la gueule du monde.
En dépit de la forme, Massacre à la Tronçonneuse version 2003 a quand même un sacré (et monumental) problème de fond. Il faut dire que ça patine sec pendant près de trois quarts d'heure, le film embrayant sur une monstrueuse erreur de construction narrative, puisque l'enjeu initial (se débarasser d'un corps) détourne totalement le spectateur du vrai sujet du film. Un "sujet" nommé Leatherface, qui arrive comme un cheveu sur la soupe, dans une scène choc censée nous rappeler, là encore, le film original, sans en avoir la puissance.
C'est d'ailleurs quasiment la seule référence "plan pour plan" de tout le film. Traité comme une banalité, comme un animal de foire dangereux, Face de cuir ne sert pas à grand chose d'autre qu'à courir après des gens avec une tronçonneuse. Oublié le gentil développement psychologique insufflé par Hooper, qu'il avait même tenté d'explorer plus avant dans complètement barré Massacre à la tronçonnneuse 2.
Ici, le scénariste Scott Kosar tente de nous expliquer qu'il a été super malheureux à l'école à cause d'une maladie de peau, et qu'il s'appelle Tommy Hewitt. C'est bien joué, c'est bien Tommy. En fait, le film n'avance pas, nous impose des scènes de groupes indigentes pour pas grand chose, se comporte le reste du temps comme vulgaire film de monstre sans imagination, et se pose de fait comme le premier volet d'une nouvelle saga à multiples épisodes.
Malmené par un scénario indigent, dans lequel tous les clichés y passent - du "mais non je me fais pas happer le bras pour de vrai" aux fausses peurs à la con et autres "si y'a quelqu'un ici qu'il arrête c'est pas drôle" - les personnages font ce qu'ils peuvent pour exister en attendant de se faire exécuter. Plombé par une musique pompière et ronflante à peu près aussi intéressante que le score des 30 derniers slashers que vous avez vus, le film garde la tête hors de l'eau quelques instants fugitifs, le temps d'une bonne idée (Leatherface avec la tronche du boyfriend) et replonge aussitôt dans les eaux navrantes du teen movie agité où chaque effet de caméra est souligné par un tic sonore agaçant...
On peut préférer le beaucoup plus féroce - et beaucoup plus rythmé - Détour Mortel, qui étale question méchanceté, en quelques minutes à peine tout le film de Nispel. Alors d'accord, la mise en scène du film de Hooper a pris un sacré coup de vieux, et son remake s'en sort très dignement à ce niveau là : c'est très beau, bien léché, stylisé ce qu'il faut, avec quelques plans barbares qui nous font regretter que Nispel n'ait pas envoyé chier son producteur et son scénariste pour nous péter joyeusement un plomb derrière la caméra. Du film original on sortait éreinté, sur les nerfs, en catatonie. De ce remake on sort vaguement engourdi de sommeil, et au moins sourd d'une oreille. Je ne suis pas sûr qu'on gagne au change.