J'ai pour habitude de ne pas noter de films en dessous de 4/10, pour la simple et bonne raison qu'ils "sont" tout simplement, et qu'un film sollicite équipe de tournage, idées, et que parfois, je ne suis pas réceptive à l'instant T du visionnage, ou ne suis tout bonnement pas la public visée.
Une notation et une critique, c'est bien souvent le résultat de l'(in)adéquation entre des attentes et un résultat filmique. Et je crois que mes attentes concernant Master Gardener ont été non pas élevées (car avoir des attentes élevées sous-entendrait de s'y connaitre, hors en tant que cinéphile, on ne s'y connait jamais vraiment, on peut seulement essayer, et l'humilité en critique et en réalisation manque trop, mais passons), mais inappropriées vis à vis du dernier film de Paul Schrader. Je ne sais pas pour qui ce film a été fait, il a eu de plusieurs côtés des éloges, et pas des moindres, mais pour cette fois ce sera sans moi, et que j'aurais aimé en être.
Le plus frustrant dans cette histoire, c'est le potentiel. Beaucoup d'idées intéressantes sont proposées à l'ouverture du film, la fierté mal placée et raciste de la propriétaire des lieux, le décalage entre le passé et le présent posé entre l'intérieur et l'extérieur, et les enjeux de pouvoir que cela pose. L'idée même du lieu, de ce que cela sous-tend historiquement, symboliquement, il y avait énormément de choses à faire (ce n'est pas moi qui suis à la caméra évidemment, mais tout de même), proposer une autre grille de lecture du motif floral, appuyer sur l'intérieur de la maison, que sais je... Le récit ne décolle à aucun moment, et les 1h45 de film s'étiolent, le scénario qui semblait s'esquisser disparait subitement pour ne donner aucune matière concrète, aucun fil directeur. Alors je ne vais pas être tendre, bien que j'ai vu dans ce film des qualités qui peuvent me faire comprendre qu'on l'ait adoré.
La thématique du nazisme déjà, qui revient sur le devant de la scène du cinéma pour des raisons évidentes, celles de la remontée de l'extrême droite un peu partout en Europe. L'utilisation même du double motif "croix gammée" et "homme rasé de près habillé col dernier bouton" est juste de trop. Et au cas où le spectacteur ne l'aurait pas compris, on nous rajoute une couche de flashback et cauchemars traumatiques carrément mal réalisés, avec des gros "white power" pour bien comprendre qui sont les méchants. Plus aucune crédibilité, pas de densité possible à donner au personnage principal en le dessinant avec des traits aussi grossiers, pour moi, le Master Gardener n'a déjà presque plus rien à dire, à tout juste 15 minutes de films.
Le parallèle réalisé entre les figures féminines et les fleurs, non mais sérieusement ? J'entends que Paul Schrader est un réalisateur homme des années 80, avec un bagage filmique/social forcément spécifique et biaisé. Mais le fait d'accoler encore une fois, comme pour Narvel avec ses croix gammées, les actrices du film à des motifs floraux, c'est d'un simpliste ! La maîtresse de maison avec un chemisier a fleurs, Maya avec fleurs dans les mains, et les peintures qui ornent les murs de la maison avec des femmes nues et des motifs végétaux, gnagna les fleurs du mal/fleurs du mâle, oh attention le jardin d'Eden il ne faut surtout pas croquer dans la pomme...On a moins original en stock ? C'est ce genre de motif qui fait qu'encore une fois le fil est coupé net dès le début du film. Les fleurs, on peut en faire carrément autre chose filmiquement parlant que ça (je peux pas le surligner en gras, j'aurais bien aimé).
On a à partir de là impossibilité déjà pour moi de s'attendre à une montée en puissance, le film se traîne, avec cette voix off pesante qui n'apporte rien de particulier, puisque littéralement tout a été dit, trop tôt, trop vite, et procure un sentiment de décalage de plus en plus prégnant, comme si ce film s'était trompé d'époque, et aurait eu bien davantage sa place dans les années 80, tant pour le scénario que pour la façon dont les sujets sont abordés.
C'est classique, cela pourrait être bon, provoquer le malaise et le dégoût, la colère (je ne dis pas, les passages de la première moitié du film avec Sigourney Weaver, alcoolique et décatie dans son passé, sont pour le coup très bons, merci à elle), et les personnages sont comme de passages. Qui est ce flic, qui sont ces méchants dealers qu'on aperçoit deux secondes comme un prétexte ?
C'est ce classicisme, et ce simplisme par moments qui font que je n'ai pas accroché, Master Gardener m'a donné l'impression de revoir The Card Counter, mais en moins intense, moins fouillé, (moins bien joué ?), avec tout le scénario que Schrader affectionne et que j'ai adoré dans ses films précédents, un homme ténébreux au passé trouble avec un sex-appeal de la mort qui tue, une femme qui veut voir "qui il est" vraiment, et un retour du refoulé plus ou moins symbolique à l'écran. Là le ténébreux est aride, les traces du passé grossières et paraissent baclées.
J'ai eu un sursaut au moment de la ballade/orgasme en voiture des deux personnages principaux, au milieu d'un jardin qui s'auto-révèle sous la lumière des phares, mais il dure deux secondes, et est, si l'on souhaite comparer deux passages "sous acide" de deux films, bien moins intéressant esthétiquement que les cauchemars d'Oscar Isaac dans The Card Counter (oui c'est mon chouchou ce film, et alors), où on voit le labyrinthe de la prison et des scènes de tortures que les soldats américains font subir.
Je ne sais pas, du sang sur les fleurs au beau milieu de la fameuse réception de charité (et sur les costumes blancs des invités) avec des verres qui se cassent, un travail plus poussé sur la relation entre le chien "Porch Dog" et Narvel, plus de scènes entre Maya et son mec RG dans des soirées rave où ça se passe mal, avec un montage en alternance sur les fleurs du jardin, bref, je suis restée sur ma faim, et me suis un peu sentie comme ce clébard que Sigourney Weaver a décidé de laisser au porche parce que c'est sa place, on ne m'a pas laissé entrer dans le film, ou je n'avais pas envie, c'est quelque part la même chose.