Les films réalisés (ou, au moins, scénarisés !), par Paul Schrader, mettent souvent en scène des marginaux tentant de vivre aussi normalement que possible dans le système, aussi normal ou anormal que celui-ci est, des marginaux qui essayent tant bien que mal de garder au plus profond d'eux un passé et une psyché troubles (l'un étant lié à l'autre !).


Master Gardener n'est pas l'exception. Ici, on a un horticulteur, suprémaciste blanc repenti, et l'on a le droit à tout un lot de métaphores botaniques, par l'intermédiaire d'une voix-off du principal concerné, pour expliquer la psychologie de notre caractère. Mais, quand on gratte ce vernis intello...


Pour commencer, j'attaque (dans tous les sens du terme !) la forme (oui, qu'on le veuille ou non, une forme "soignée", dans le sens d'être en adéquation avec le propos d'ensemble, concourt à faire entrer dans une œuvre cinématographique, à lui insuffler de la vraisemblance !). Les tasses et les assiettes ont la capacité d'être toujours propres, même quand il est censé y avoir ou y avoir eu de la nourriture ou un liquide dedans. C'est génial, elles se lavent toutes seules, pas besoin de faire la vaisselle. Dans la même optique, ayant été saisonnier dans l'entretien des espaces verts de ma ville de naissance (ouais, j'ai une existence de ouf !), je peux vous dire que l'on ne termine pas une journée de travail les chaussures, les habits et les mains nickels... loin de là. Une droguée, juste sortie de son addiction, ne se comporte pas à la manière d'une petite fille sage, se maîtrisant bien. Elle conserve, par exemple, pendant un long moment, une tendance à l'irritabilité ou encore à l'anxiété. Et le jardin, supposé être, d'après les dires de certains personnages, une merveille exceptionnelle, déchirant grave sa race, ne dégage rien pour ce qui est des couleurs, de la luxuriance, de la diversité et de la rareté des plantes ainsi que des arbres... enfin, bref, c'est un jardin n'ayant rien de spécial, comme on peut en voir des millions dans le monde.


Le fond maintenant... l'intrigue qui pompe, dans les très grandes lignes, en beaucoup plus soft tout de même, le fil conducteur de Taxi Driver (dont le scénario avait été écrit par Schrader, pour rappel !) est pour le moins rachitique, ne préparant et n'approfondissant jamais les situations ainsi que les personnages, se contentant de balancer des motifs trop attendus, à force d'avoir été utilisés et réutilisés ailleurs, n'allant aucunement, en plus, au-delà de leur surface, ne prenant pas du tout le temps pour ça.


Les quelques échanges du protagoniste, avec sa maîtresse tyrannique (dans deux sens du terme !), incarnée par Sigourney Weaver, se distinguent par leur côté trop explicatif, surlignant tout au stabilo géant, inhibant toute ambiguïté (alors que Paulo, dans ses meilleurs moments, est très bon dans ça !), donnant même le sentiment qu'elle n'est pratiquement là que pour exposer quelques points de l'intrigue par ses répliques.


Sinon, quand on veut bâtir une relation sentimentale dans un film, on fait en sorte par des paroles, par des petits gestes, par des regards, de faire comprendre aux spectateurs que deux personnes sont attirées l'une par l'autre. Pour qu'en conséquence, lorsqu'elles cèdent à leur passion, cela paraisse couler de source et non pas sortir de nulle part. En outre, le fait que l'acteur principal, Joel Edgerton, a la même gamme d'expressions faciales, corporelles et vocales qu'une bûche, n'aide pas (peut-être qu'il est simplement mal dirigé, je ne connais pas suffisamment cet acteur pour avoir la légitimité de porter le moindre jugement à l'emporte-pièce sur lui !). L'alchimie entre la tête d'affiche et sa partenaire, Quintessa Swindell, dans ces circonstances, n'a que la possibilité d'être inexistante.


C'est dommage, car il y avait un potentiel pour quelques belles choses (si les prémisses de la romance à venir n'avaient pas été négligées, rendant la suite amoureuse peu crédible !), à l'instar du fait que le personnage féminin principal, qui est métisse, après avoir découvert le passé de suprémaciste du type qu'elle kiffe (par des tatouages nazis sur le dos de ce dernier !), décide de lui pardonner tout en parvenant, par la même occasion, à gagner un ascendant moral sur lui. Mais, c'est noyé dans la paresse d'écriture et de réalisation ambiante.


Les motifs attendus... pour ce qui est d'une éventuelle tension qui pourrait résulter avec les antagonistes, représentés principalement par les figures de deux trafiquants de drogue minables, leur pire acte est de s'en prendre au jardin pour... "ta gueule, c'est comme ça !" (quoi, interlocuteur contradicteur imaginaire ? les coups sur le visage qu'a reçus la jeune ancienne toxico de la part de ces deux abrutis ? alors, petite précision, on ne voit pas l'agression, ce qui n'est pas un problème... aucun reproche de ce côté-là... par contre, là où est le problème, c'est que le maquillage sur la comédienne, pour faire croire à ces coups, est à ce point peu réussi qui dégage plus l'impression que le personnage s'est pris une branche dans la tronche, sans gravité, que des poings très violents... quand je vous dis que la forme est importante !)... ah oui, les deux trafiquants... ouais, la confrontation est tellement expédiée que ça ne grave pas un instant la mémoire. Et, pour ce qui est encore du domaine du superficiel, cela aurait été peut-être bien de plus creuser, sans trop spoiler, le truc avec la famille du protagoniste (ou alors, carrément, de le supprimer puisque ça n'apporte rien !), au lieu d'à peine l'esquisser en deux petites séquences, dont un flashback. L'aide qu'apporte l'horticulteur à l'objet de sa flamme, contre son addiction aux substances illicites, n'a le droit qu'à une très courte scène (là, encore, on peut supprimer !).


Bref, autant sur le fond que sur la forme, Master Gardener est un Schrader est aussi décevant qu'un rhododendron, dont les fleurs n'éclosent pas au printemps.

Plume231
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le 5 juil. 2023

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