Alors que le français n'a qu'un seul mot pour exprimer le fait d'aimer sa mère, son ami d'enfance, son partenaire ou la crème brûlée, le grec en a quatre: Storgê, l'attachement familial, Philia, l'amitié, l'affection entre pairs, Éros, l'amour charnel, le désir et Agapè, l'amour désintéressé, universel. Contrairement au schéma classique de la rencontre amoureuse qui prévaut dans l'imaginaire occidental, les choses ne sont pas si simples, et heureusement. D'une forme d'amour à un autre, les frontières ne sont parfois dues qu'aux barrières culturelles et morales que l'on (s') impose. Jusqu'à ce que la fine couche d'interdit qui normait une relation se fissure, craquelle, explose en plein vol.
Ce film est un très bon Xavier Dolan: enfin! Les si décevants Jusqu'à la fin du monde et surtout Ma vie avec John F Donovan, caricatures à l’extrême de tous les sujets de prédilection du réalisateur (l'homosexualité difficile à assumer, la mère alcoolique, le style mélo kitch), donnaient raison à toutes les critiques des détracteurs de la première heure. Dans Matthias et Maxime, Dolan reprend pourtant ces mêmes thèmes saturés de sa filmographie. Et pire, le film commence comme un médiocre sitcom québécois, tout sonne faux, les acteurs jouent mal. "Dolan, plus jamais, il va falloir se faire une raison" ai-je même pensé.
Et puis, tout d'un coup, alors que le spectateur a le cerveau en pause, prêt à passer un bon moment décevant, soudainement, sans crier gare, la magie opère. Le film dans le film se coupe là où tout commence et on entre tête la première dans cette eau glacée des non dits, des désirs enfouis refrénés à en perdre le bon sens. Xavier Dolan a ce génie, celui de ne pas faire les choses à moitié, et son cinéma est comme les sentiments qu'il décrit, qui balayent tout sur leur passage, qui font douter de tout ce que l'on a connu avant, qui ne laissent que l'option d'être entraîné dans une fougue tourbillonnante, même si l'on ne sait pas où on va, même si on ne veut pas y aller.
Alors on suit avec exaltation les déboires du torturé Matthias, qui expérimente l"éros" né du "philia", préfère sacrifier l'amitié qu'écouter cette passion inconcevable, alors que Maxime lui, en proie à d'autres problèmes, n'a pas le temps pour ces états d'âme. Alors oui, c'est du Dolan, avec quelques scènes déchirantes que certains trouveront mièvres ou exagérées. Peu importe. Ceux qui viennent chercher au cinéma leur dose d'idéalisme ressortiront comblés. Qui a dit que le cinéma devait être raisonnable?
Nda: j'espère que vous aurez noté la dédicace (appropriée) à Marie Laforêt...