MaXXXine
6.3
MaXXXine

Film de Ti West (2024)

La revanche du Dahlia Blond -critique tardive-

On ne peut pas en vouloir aux analystes de tout poil d'avoir orchestré leur argumentaire fallacieux autour d'une imagerie post De Palmienne. Après tout, l'erreur (culturelle) est humaine et ce réflexe analytique mettant en avant le fétichisme vestimentaire du prédateur ganté, épicentre du giallo, récupéré de fort belle manière par l'auteur de Pulsion amène tout logiquement MaXXXine a être étudié à la lumière d'un sous genre prisé par la cinéphilie. L'idée première serait de mettre en corrélation MaXXXine avec l'inévitable Body Double, mètre étalon d'un cinéma des eighties ludiquement méta (Hitchcock - De Palma - Cinéma - fantasmes) arborant (au sens propre comme au figuré) "les dessous" d'un art visuel polarisé sur Alfred Hitchcock et son excroissance sexuelle engendrée par la grammaire de De Palma. MaXXXine est en soi ce que l'on appelle un "faux ami" -nous y reviendrons- développant le même champ lexical que son vieux parent Body Double. Le cousinage est d'ailleurs troublant puisque le premier brosse le portrait de l'industrie pornographique puis de son accession à la célébrité alors que le second cherche avant tout à faire exister un acteur médiocre (Craig Wasson) afin de le propulser dans les mondes interlopes du sexe. Mais là où le film de De Palma est une invitation à la bandaison, Ti West élabore un film dégénératif sur la perte des illusions et la facticité du trône de la célébrité. Le priapisme de Body Double, carburant sexuel, coule dans ses entrailles argentiques amenant à une excitation magnifiquement putassiere engendrée par les thématiques racées issues de Vertigo et Fenêtre sur cour. A sa manière, MaXXXine puise aussi à la source Hitchcockienne imprimant en relief son héroïne dans le décors de la demeure de Norman Bates. Pourtant la filiation à Psychose n'augure en rien une diegèse consommée du film d'Hitchcock. À l'inverse de Body Double, MaXXXine fige la mémoire collective des spectateurs, sélectionne les multiples photogrammes inscrits dans son inconscient tout en y apposant ses propres formes cinématographiques. Par superposition de couches fictionnelles, la trilogie de West dialogue avec Psychose au travers de MaXXXine: Du manoir des Bates et sous le regard du personnage interprété par Mia Goth, une vieille femme observe par la fenêtre les alentours. L'apparition est-elle une émanation de Pearl au travers du spectre de la mère Bates ? Le film tease-t-il un trauma (celui du spectateur devant Psychose ? Celui de MaXXXine face à Pearl dans X ? Les deux ?) mais n'en révélera rien de plus. MaXXXine, elle-même, ne percera pas non plus le secret du film d'Hitchcock non sans avoir franchi le palier du décor suite à une course poursuite avec le détective John Labbat (Kevin Bacon) laissant une porte ouverte aux spectateurs désireux d'emplir un vide cinephilique. On a reproché à West de ne rien faire de son héroïne dans un lieu aussi mythique. Dans un dispositif équivalent, Spielberg s'était emparé puis a prolongé la mythologie de Shining dans Ready Payer one, ses personnages prenant le contrôle du métrage de Stanley Kubrick. Force est de constater que le réalisateur de X ne souhaite pas violer les secrets de Psychose, ni investir le coeur de l'entreprise filmique dans une mission de démystification. MaXXXine ne franchira pas la frontière méta et rebroussera chemin au risque de frustrer, à contrario d'un Body Double investissant corps et âme le sanctuaire du Maître du suspense dans un souhait avoué de traçabilité ou d'étreindre la pop culture comme l'oeuvre de Spielberg. Ce qui laisse à penser qu'il y a autant de différence entre un geste artistique venant travailler la matière de l'intérieur et l'autre l'exposant à ses côtés à la lumière du jour. En d'autres termes, la vision d'un super auteur comme De Palma et ses capacités techniques rendant le point de vue du réalisateur omniscient fustige les velléités d'un Ti West plus à même d'interpréter la partition d'un Maître plutôt que de la faire renaître de ses cendres sous une forme plus baroque et sophistiquée.

Travailler la frustration du spectateur/cinéphile (qui est un sentiment à prendre en compte lors de l'expérience cinématographique) amènera surtout à révéler les vrais enjeux du film ainsi que sa note d'intention. Si MaXXXine ne se prête pas à l'analyse méta, c'est que ses intentions sont toutes autres et surtout pas à la démesure formelle, ni à l'étude expérimentale d'une quelconque forme visuelle ou scénaristique. On peut reprocher à MaXXXine de se limiter à un filmage engoncé, de refuser d'ouvrir son champ ou de minimiser les focales alambiquées pour une cinégenie moins en phase avec une cinematographie contemporaine. L'humilité, si elle existe bien, est de se planter dans le terreau d'origine, celui de la série B des années 80 et de conformément s'en tenir à ses canons structurels et ou visuels. On assimile bien mieux le dernier volet de la trilogie de West, une fois que l'on a répondu à la question du semblant de manque d'audace formelle. MaXXXine est une reconstitution des années 80 mais s'évertue à retranscrire toute une époque au travers de sa technique: La sensation d'une machinerie plus lourde, d'un grain apparent issu de l'argentique (absence de netteté totale dans sa profondeur de champ) de Split-screen dérobés à un générique de série télévisée et d'introduction de plans shootés au caméscope lardés d'artefacts sur la bande magnétique de la VHS. Cette retranscription de l'ère moderne de l'image peut alors s'imprègner des multiples références auxquelles le film rejoue discrètement la magie en bordure de cadre. MaXXXine s'exprime à loisir à l'intersection de ses amours cinéphiliques: Psychose et sa Némésis de la vieille harceleuse Bates/Pearl dans un jeu de poupées russes et de confusions (volontaires) mythologiques. Vice Squad de Gary Sherman et Angel pour son approche plastique et temporelle de l'urbanisme des rues de L.A. Hardcore de Paul Schrader pour la capture d'écran (cul)turelle et L'Ange de la vengeance d'Abel Ferrara pour sa fibre hargneuse et féministe.

La ligne de conduite dictée par la typologie de production à laquelle MaXXXine appartient ne sera jamais franchie. Le dernier né de Ti West se limitera, à l'instar de ses références, à une structure de série B sans prétendre élever le débat ou poser un regard actuel sur une période passée. La bulle temporelle du réalisateur de Pearl échappe au post maniérisme de Mullholand Drive évoqué par Thierry Jousse dans "Cahiers du Cinéma" tout comme il s'écarte de la noblesse visuelle de Once Upon a Time in Hollywood de Tarantino, rêverie mise à part. Un film pensé comme un pure objet de son temps sans récupération politique, sans jugement a posteriori mais avec une étonnante prise de recul sur son appartenance. Néanmoins le seul respect de sa classe cinématographique et de sa vertu plastique ne suffisent pas à distinguer l'édifice derrière le fétichisme pro-nostalgique. MaXXXine se cristallisera autour d'un dialogue entre Minx et sa collègue, également actrice pornographique, au coin d'une rue. L'insécurité provoquée par une série de meurtres sur la cité des Anges va contraindre les deux jeunes femmes à évoquer le Dahlia noir, affaire criminelle non resolue survenue dans les années 30 où une jeune starlette fut retrouvée dans un terrain vague cisaillée à partir de la taille. La victime, Elisabeth Short se trouvera être le symbole d'une Amérique décadente livrée à la corruption des grandes institutions, à sa machinerie Hollywoodienne faite de superficialité, de luxure à tous les étages, de politiciens verreux et d'une immigration incontrôlable. Le romancier James Ellroy en tirera un roman mettant en scène deux policiers, Bucky Bleichert et Leland "Lee" Blanchard confrontés à un maelstrom d'informations et de faits plus ou moins proches de l'affaire. De l'oeuvre d'Ellroy, Brian De Palma prendra un raccourci scénaristique qui jouera en sa défaveur atténuant l'impact final. Le film souffrant de sa comparaison avec son jumeau littéraire se retrouvera étonnamment rehaussé à l'aune d'un MaXXXine offrant un contrechamp culturel et social absolument passionnant. Mia Goth interprétera donc un Dahlia blond à la fin du XXème siècle dans un Los Angeles tout aussi marqué par le désespoir et l'infamie. Si la gémellité avec Elizabeth Short se joue sur un plan purement physique, cascade de cheveux bruns pour l'une et blonds pour l'autre mais aussi courbes attrayantes, c'est sans distinction d'époque que le système s'apprête à les broyer puis à les recracher sans vergogne. En amont, Betty Short est la grande question posée par Bleichert et Leland du pourquoi d'un tel massacre ? Une Enquête en forme de puzzle fouillant le passé de la jeune femme ramenant ses antécédents au premier plan et en aval, MaXXXine, qui en est le reflet déformant. L'une est victime hors champ et l'autre offensive plein cadre. Confrontées au mythe du Grand nulle part, les deux starlettes ont en commun de s'introduire dans le Septième Art par des moyens détournés propres à rendre caduque leur crédibilité. Dans un sens, l'essai pornographique fait foi et c'est sur la base de la croyance en un avenir de gloire et de reconnaissance qu'elles s'imaginent percer dans l'univers du Septième art. L'objet du délit, un film lesbien accusateur chez Short se passant de manteau en manteau et le 16 mm de Minx intitulé les "Les filles du fermier" vu dans X. Il s'agit d'une trace laissée qui aura à coup sûr des répercussions sur leur vie. Les chemins et les aspirations de chacune se croiseront jusque dans les studios. C'est dans cette perspective troublante que les essais menés par un réalisateur (De Palma lui-même hors champ) dévoile la fragilité de Betty Short. Mi-offerte mi-determinée, l'actrice interprétée par Mia Kirschner s'abandonne littéralement au regard masculin et à la voix chaude de son metteur en scène. De Palma ne s'est jamais caché être un amoureux du corps féminin et de ce qu'il renferme en matière de fantasmes divers. Il se met ici vocalement en scène. Sur une note différente, MaXXXine, femme des années 80 inscrite dans une dynamique féministe ambigüe "vous avez peut-être eu mon cul mais vous n'aurez pas mon âme" s'impose devant ses directeurs de casting et sa réalisatrice, la froideur intellectuelle se substituant à la scandaleuse chaleur des années post Grande Dépression. L'actrice de films pour adultes convertira sa condition de femme légère en puritaine -titre de son film-s'achetant au passage une vertu.

Au bout du compte, de ces artistes en quête de reconnaissance, il ne reste que des humains fracturés où comme disait Bette Davis en préambule: "Tant que l'on ne vous considère pas comme un monstre, vous n'êtes pas une star." MaXXXine est le souhait de graver son nom dans le marbre et d'exister au-delà du commun des mortels. Et lorsque durant le générique de fin la caméra s'élève dans les cieux, on peut distinguer une étoile filante puis un écran noir. Jamais le Septième Art n'aura été aussi éloquent sur le Star système que sur ce dernier plan.


Analyse et critique de X

https://www.senscritique.com/film/x/critique/262724902

Créée

le 13 sept. 2024

Critique lue 134 fois

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