Métamorphose narcissique
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MAY DECEMBER est un film étrange à de nombreux égards. La facture visuelle du film est hélas très pauvre, un peu comme dans les téléfilms américains sur TF1. On se demande si cela est fait exprès, si Todd Haynes s’amuse avec cette esthétique : de nombreuses scènes en intérieur, plus ou moins inventives, des plans en extérieur où la lumière du soleil aveugle le spectateur de manière un peu caricaturale, pas aidée par une photo très fade. L’usage de la musique, qui exagère tous les gestes, les dialogues, les situations, peut exaspérer ou faire rire (sons stridents à l’ouverture d’un frigo ou la musique inquiétante lorsqu’Elizabeth apparait dans le cadre près de Grace suivis de dialogues risibles). Ce nouveau Todd Haynes met donc le spectateur dans une position compliquée : être de connivence avec Elizabeth et rire du couple ou même rire d’elle à certains passages.
Ce jeu de point de vue est plus ou moins réussi : on est tantôt agacé par la présence d’Elizabeth tantôt à fond derrière elle dans son investigation. On se demande quand même si on assiste à un film complètement crétin ou qui sait le plaisir qu’il procure chez le spectateur devant la prévisibilité du scénario. C’est d’ailleurs l’autre réserve que j’ai : le film ne va jamais au bout de ses ambitions, jamais assez pervers ou vénéneux. En effet, s’il y a bien une réussite majeure dans le film, c’est le personnage d’Elizabeth, imprévisible, vampirique, de mauvaise foi, à la fois consternée et fascinée par la médiocrité de la vie de celle dont elle doit jouer le rôle dans un futur film. Ce sujet (le travail de l’actrice qui doit préparer un biopic) touche et fait ressentir au spectateur un plaisir voyeuriste quand Elizabeth s’immisce beaucoup trop dans la vie de son modèle. On se demande jusqu’où elle peut aller. La révélation finale de Grace questionne d’ailleurs sur l’ambition des comédiens ou d’un film à sonner vrai quand on relate la vie d’une personnalité.
Au fond, Haynes nous montre des personnages qu’on ne saisit qu’à travers les apparences. Natalie Portman est absolument parfaite dans le rôle de l’actrice, réussissant à rendre compte du caractère dérangeant et effrayant de sa présence (la scène de la masterclass en tête). Todd Haynes scrute aussi les effets d’une relation ambigue et malsaine entre Grace et Joe (23 ans d’écart), qui se révèle notamment lors des scènes au lit ou lors d’un craquage de Joe devant son fils. Charles Melton, très subtil dans le côté pathétique de son personnage, rend Joe attachant comme jeune père en quête de sens. J’ai plus de réserves sur le jeu de Julianne Moore, qui semble s’autoparodier, notamment lors de scènes qui ressemblent étrangement à CHLOE d’Atom Egoyan. L’actrice comme le film ne sont jamais meilleurs que lors des rares confrontations entre Portman et Moore, seules, dans des scènes aussi glaçantes que captivantes dans leur mise en scène du regard (essayade de vêtement, maquillage).
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Créée
le 8 juin 2023
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