Le cinéma de Pasolini me laisse complètement perplexe : sans doute parce qu'il me fait toucher aux limites de ce que je peux voir et ressentir, sans doute parce qu'une part de moi ne le comprend pas et que la légère sensation de nausée (voir franche envie de vomir, dans le cas de Salo) qui accompagne la découverte de chacun de ses films m'empêche d'approfondir ce qu'il a provoqué en moi. Quelque chose m'échappe, me frustre, et je finis toujours hantée par un profond malaise.
Cette vision de Médée ne déroge pas à la règle :
- une part de moi est fascinée par l'esthétique très archaïque mise en place. Il y a quelque chose de primitif et de brutal, dans cette façon d'aborder la tragédie, de renouer avec sa violence originelle autant qu'avec sa symbolique puissante. Ici on sacrifie, on hurle, on maudit, on se déplace en coryphée, on s'embrasse comme on se dévore, on brûle, on tue, on rêve de manière prémonitoire des horreurs. Et parfois, si l'on est un centaure, on disserte de la nature humaine et de la notion de fatum. Parfois, encore, la réalité brute vient étrangler le mythe, et la notion de sacré s'évanouit dans des scènes qui, par les symboles qu'elles manipulent ou la brutalité de leur mise en scène, mettent profondément mal à l'aise (ou exaspèrent : la première moitié du film brasse des symboles phalliques/fertiles jusqu'à la nausée), tout comme l'impossibilité de trouver de véritables repères culturels (la musique comme les décors sont hybrides et n'ont pas grand chose de grecs).
- je suis perplexe quant au choix de Maria Callas : prendre une voix aussi merveilleuse pour la rendre muette m'étonne. Certes, son visage sculptural et sa capacité émotionnelle donnent une dimension humaine inattendue à Médée (la scène du meurtre des enfants est présentée comme un sacrifice d'une douceur dérangeante), mais j'ai parfois l'impression qu'elle n'a été choisie que pour le symbole qu'elle représente dans l'inconscient du spectateur, celle d'une femme puissante, attachée à une certaine idée de l'intellect et de la bourgeoisie, qui joue ici la barbare (tant au sens de "sauvage" que de "non-intégrée à la civilisation"), celle dont la voix porte le pouvoir de lancer malédictions et imprécations.
Bref, un choix pour le contraste et pour soutenir, j'imagine, une certaine réflexion sur la confrontation entre deux univers culturels. Le monde d'Euripide est un monde qui s'écroule (celui de Pasolini aussi, je crois, mais je le connais moins bien que le tragique grec qu'il adapte ici) : la culture des origines est confrontée à sa décadence et à son remplacement (la pseudo-modernité agaçante de Jason). Médée fait figure d'entre-deux dérangeant entre ces deux univers : bouffée par des rêves prémonitoires emplis de sauvagerie, elle donne l'impression de refuser de s'intégrer dans ce nouveau monde et de devoir le transgresser pour s'en libérer et le défier. La sorcière, petite-fille du Soleil (jolie scène de dialogue qui rappelle ce 'détail" mythologique), cette grande marginale poussée au crime par la société, faute de pouvoir l'intégrer... C'est un portrait juste, j'aurais apprécié qu'il soit développé, plutôt que Pasolini s'égare dans des méandres politiques qui m'ont complètement dépassée, je l'avoue, faute d'une solide connaissance du contexte. J'ai pourtant l'impression qu'il y avait de quoi enrichir le mythe de manière intéressante, mais j'ai l'impression qu'à force de trop forcer sur une symbolique trop datée, il y a quelque chose qui ne passe plus. Je ne saurais pas dire quoi, par contre.
- certaines scènes et décors me font penser au Satyricon de Fellini - malaise immédiat, je n'ai pas réussi à aller jusqu'au bout de cette adaptation d'un livre que j'apprécie énormément, son baroque démesuré m'a donné le tournis. Je dois faire de la résistance au cinéma italien, en fait, ou manquer d'outils pour le comprendre...
Je suis preneuse de tout conseil qui me permettrait de mieux l'appréhender, à défaut d'y adhérer spontanément.
[Je mets 6 puisque le film me laisse complètement indécise et perplexe, malgré quelques scènes d'une grande intensité.]