Malgré de nombreuses critiques mitigées voire mauvaises, je restais curieuse à l’idée de voir Megalopolis, œuvre presque mythique par ses quarante ans de gestation et ses vingt de production. Il est ici nécessaire de souligner ce temps, tant le film et son scénario semblent figés dans un imaginaire passéiste. Coppola pioche dans la tragédie romaine et met en scène l’affrontement quasi-philosophique de deux élites, le pragmatique et corrompu maire Cicéron et l’architecte visionnaire et absolutiste César.
Si je donne ici ce qui semble être l'intrigue la plus cohérente du film, une évidence saute rapidement aux yeux : Megalopolis est mégalo dans tous les sens du terme. Il est rapidement débordé par une multitude d'intrigues et de sous-intrigues, par un excès de personnages plus ou moins bien traités, et souvent au caractère inconstant et par une multitude de thèmes et de genres qui finissent par se court-circuiter les uns les autres. Romance, drame, thriller, tragédie romaine, essai politique…On est très rapidement perdus dans ce qu'essaye de dire le film ou le réalisateur et dans les circonvolutions d’un scénario qui a engrangé peut-être presque trop d'années d'écriture et de réécriture.
Ce n'est pas tellement mieux du côté visuel. Si je fais abstraction des aléas de production et des outils pas forcément souhaités par Coppola, on a l'impression que le réalisateur s'amuse et expérimente tout ce qu'il est possible de faire à l'écran. C'est parfois inspiré, parfois très kitch, souvent incongru. Comme l’histoire, la direction artistique est en permanente mutation et même les bonnes idées apparaissent tellement isolées qu'on ne comprend pas trop ce qu'elles viennent faire dans l'histoire. Je citerai pour exemple la chute de Carthage et les ombres des habitants sur les immeubles. Si je trouve visuellement cette scène assez belle je trouve qu'elle ne se raccroche à aucun autre élément stylistique du film.
Si les acteurs sont très engagés dans leur jeu et vont vraiment jusqu'au bout de ce qu'on leur confie, il y a là également de grands écarts entre parfois des caractères ou des tonalités qui ne vont pas ensemble voire sont complètement paumées. Shia LaBeouf hérite d’un personnage si polymorphe qu’il ne ressemble plus à rien. Aubrey Plaza et son arc narratif de dominatrice vulgaire semble évoluer dans un film parallèle à la poésie aérienne de la romance entre Adam Driver et Nathalie Emmanuel.
Enfin, sur le fond des thèmes, et pour ceux et celles qui auront tenu jusqu’au bout, le film embrasse une vision techno solutionniste presque rétrofuturiste, où tout est résolu par « la magie » (ici, le mégalon). Le monde de César ressemble à tous les projets des milliardaires actuels, individualistes, élitistes et déconnecté du réel. Mais ce qui m’a gênée n’est pas tant son projet que la fin du film, qui ne prend aucun recul et semble célébrer cette vision conservatrice et décalée, confisquée par une élite aveugle et sourde au peuple, ignorant l’évolution de la société des vingt dernière années (crise climatique, #metoo, inflation…).
Alors oui, Megalopolis tente et propose des choses. Mais il y a une différence entre être généreux et être un panier percé.