Comment aborder Megalopolis, arlésienne d'un Francis Ford Coppola qui livre là son opus Béhémoth ? On devrait y aller l'esprit tranquille, le film étant autoproduit il garantissait un geste artistique total dépourvu de la moindre concession (ou si peu). C'est le cas. La démarche est bien celle d'un réalisateur libre comme l'air, mais victime d'une ambition qui vite nous ramener sur Terre.
Megalopolis est un projet vieux de 40 ans. Le projet d'une vie. Quelque chose de fou, de fort, et peut-être la plus grosse mise à nu d'un auteur bigger than life (le"Megalo" du titre n'est pas là pour rien), qui s'autocitera volontiers avec des références visuelles à son Coup de cœur. Une posture intéressante, entre la main tendue et le bras d'honneur. Car le long-métrage ne ressemble à rien de ce qui se fait depuis plusieurs décennies. Coppola s'affranchit des règles de narration classique, gonfle à l'excès son univers baroque, empile les expérimentations délirantes et fait carburer ses personnages (aux noms si peu référencés) à la verve tragédienne. Qu'on aie les codes ou pas, inutile de craquer le film. Il s'en charge très bien lui-même. L'œuvre totale fantasmée mute en une sorte d'happening permanent à la structure sens dessus dessous et aux effets visuels inégaux. Les quelques vignettes oniriques virtuoses sont prises en étau entre les séquences grossières et un propos général des plus vieillots (le script a l'âge de ses artères). Mais juste au cas où cette écriture en gras n'est pas assez visible, Coppola s'adjoint les services d'une voix-off parfaitement assommante pour la surligner au stabilo et à de maintes reprises. Assister à des joutes verbales au milieu d'une arène et observer un casting livré à lui-même dans un tunnel d'aphorismes et de portnawak, c'est probablement trop subtil...Miracle, Adam Driver et Aubrey Plaza s'en sortent avec panache. En revanche, Nathalie Emmanuel est complètement larguée avec son personnage (et je la comprends). Et le pauvre Shia LaBeouf n'est clairement pas dirigé, au point de se demander s'il ne joue pas plusieurs rôles.
Coppola a rêvé grand et a tout donné pour le transposer à l'écran. La tentative est éminemment respectable, et son film aura indéniablement une place de choix sur l'étagère consacrée à l'année 2024. Au rayon OVNI ou nanar, le temps le dira. Même s'il peut aisément créer une catégorie hybride, puisque la gêne, les sourires et l’exaspération se tirent la bourre pendant 2h19.