Certaines communautés de fans ont tendance à en attendre trop de leur artiste préféré sur une longue durée. Parfois, les éditeurs ou producteurs veulent parier trop longtemps sur un artiste dont la flamme d'antan a disparu. Tantôt, dans le cas dramatique d'artiste comme Coppola, l'esprit créatif se berce dans l'illusion d'une excellence incomprise, alors qu'il n'est qu'un cadavre rongé par les vers de la médiocrité. Le génie et le talent artistique sont des composantes beaucoup plus circonstancielles, voir accidentelles, de ce qui rend un film bon. Derrière le réalisateur cherchant à transformer chacun de ses films en un mythe, il ne faut pas oublier le rôle du cinéaste à personnaliser son film, incarner son tournage, pour s'offrir une image de grandeur. Coppola, c'est typiquement un de ces types. Il suffit de retracer l'histoire d'Apocalypse Now ou la trilogie Le Parrain, pour voir que le Monsieur a une certaine estime de lui, ses travaux, ainsi qu'une méthode de travail, parfaitement grandiloquente, qui caractérise une partie de son cinéma. Pourtant, la réalité d'un tournage comme Apocalypse Now est bien plus nuancé qu'il paraît, et un film de cette ambition, avec son arsenal de tournage spécifique, doit a sa qualité finale, beaucoup bien plus aux circonstances et à l'accidentel, que nos impressions initiales pourraient nous suggérer. Ceci est d'autant plus vrai au cinéma, ou la nature du tournage, parvient à insuffler une inspiration créative, en offrant une place plus importante à l'aléatoire, que dans les autres médias.
Ce propos introductif me paraît d'autant plus nécessaire que Megalopolis est un excellent exemple, sur la manière dont le "génie" (s'il on souhaitait employer ce terme au sens kantien du terme, c'est-à-dire une forme d'innovation que personne n'a produit auparavant en art, je ne pense pas que Coppola puisse y être attribué), ou du moins, le talent cinématographique, n'est pas automatiquement reproduit, ou ne se conserve pas dans le temps, car une bon film parvient à réunir une belle constellation d'astres; et comme vous le savez, à moins d'avoir la chance d'être au bon endroit, au bon moment, il est improbable de souvent tomber sur de beaux ciels nocturnes.
Megalopolis est la névrose d'un réalisateur dont l'âge d'or, composé de films ayant marqué l'histoire de la culture populaire, est encore persuadé de proposer un cinéma de même qualité aujourd'hui. Apocalypse Now s'est produite une fois. La trilogie Le Parrain idem. Or, étant persuadé d'un talent éternel, Coppola s'est bercé dans l'illusion qu'il pouvait toujours signer un GRAND film. Non Francis, tu as accouché d'un authentique nanar, qui en prime, n'est pas constamment hilarant.
Généralement, je tente de m'écarter des jugements d'intention en critiquant un film. Néanmoins, Coppola s'est cru être la Megalopolis, et parce que son film transpire de tous les pores la prétention de son auteur, il me semble impossible de l'aborder sans ces propos précédents.
Derrière cet exercice de style, je n'arrive pas à voir autre chose qu'une projection de Coppola lui-même, derrière le protagoniste du film, César, une sorte de grand architecte incompris, persuadé d'être dans l'avant-garde de son époque, et laissé derrière lui, une oeuvre testamentaire, constamment relue avec le temps qui passe. Mais la volonté de faire un GRAND film (en passant, le fondement de cette idée est particulièrement sujet à critique) ne suffit pas à le réaliser dans les faits, car j'ai l'impression que Megalopolis ne s'en donne jamais les moyens, contrairement à un Apocalypse Now.
Il ne s'en donne jamais les moyens, car en premier lieu, le film ne cherche à aucun moment dresser une fresque. Comment parvenir à retranscrire la mégalomanie, quand le film ne pose, a AUCUN moment, des enjeux ? Quand l'univers et le contexte ne sont JAMAIS cadrés ? Rien n'est dit, non pas pour créer un univers cryptique bouleversant les repères spatio-temporels du spectateur, ni donner la magie du village du Macondo : rien n'est expliqué parce que le film est vide.
Très bien, mais le cinéma ne s'est jamais vendu sur le scénario selon moi. Je mets très volontiers cet aspect de côté, qui a plus tendance à pourrir les films que les faire briller. Soit. Qu'un film puisse se défendre seulement sur son aspect formel, voilà un cinéma dans lequel je me retrouve énormément. Ça donne quoi sur ce plan, Megalopolis ? C'est une esbroufe insolente, une feuille de papier abondamment colorié par un CP, se pensant à la hauteur de Picasso. Ce film est tourné comme un tourbillon, par la multiplication d'embranchements et de sous-intrigues. L'ambition chez Coppola, c'est de multiplier les idées, mais ne jamais prendre le temps de les lier, pour prendre son envol.
2h20, certes, la durée est longue. Mais pendant tout ce temps, qu'est-ce que le film accomplit esthétiquement ?
-pour masquer l'absence de fond et tenter de donner un semblant d'originalité à son univers, il force une apparence romaine tout le long, mais rassurez-vous, contrairement à un péplum, l'emprunt à l'esthétique romaine n'ira jamais plus loin que de vulgaires costumes et des citations répétées ad nauseam
-un érotisme absolument débile et inconfortable, car esthétiquement, il se contente de reproduire bêtement les poncifs de la décadence des hautes sphères de la société, Coppola pense les tourner en dérision, mais il ne parvient jamais à reproduire le ridicule d'un film comme Showgirls, car il projette juste ses fantasmes d'homme de 85 ans
-une utilisation abondante du numérique digne d'une IA générative, offrant sur grand écran un résultat très laid et vraiment baveux, envahissant constamment l'expérience du spectateur
-des personnages dont il est impossible d'accorder de la crédibilité, car leur parole, parce qu'elle n'est faite que de citations, est très désincarnée, et non, il est possible de dialoguer de la façon la plus non réaliste, et toujours incarner une parole crédible aux yeux du spectateur, car remplie d'émotions
-une narration décousue, non pas pour installer une esthétique, une ambiance, mais parce que Coppola est persuadé qu'accumuler quantité signifie faire grand film, quand chaque tentative de développement se suicide en cours de route, mention spéciale à la fin heureuse sortie de nulle part !
-une musique générique et insignifiante qui gâche des scènes déjà nulles
-un tas de scènes expérimentales avec un montage qui veut remplir au plus possible l'écran et ces scènes la, du niveau d'une vidéo youtube, sont nombreuses et cherchent à toujours dépasser la précédente dans la connerie
Au bout du compte, je ne sais pas comment aborder ce film. A force d'en faire trop, Coppola donne un cachet très étrange à son film, car l'image et le montage donnent tant la sensation de voir un film amateur, les acteurs ont l'air tellement mal à l'aise, que tout se passerait comme si Coppola faisait une farce. Mais non, le pire de cette histoire, c'est que chaque élément s'imbrique vers une direction, celle du personnage de César, protagoniste du film, chargé de construire une immense cité grâce à son argent et les prouesses de la technologie, dans le but d'offrir un meilleur avenir à ses proches. Comment ne pas dresser un parallèle avec le parcours du film ?
Mais si la forme est aussi outrancière, et cherche tant à proposer un résultat unique pour décontenancer le spectateur, alors ce stratagème est comme une diversion pour masquer un fond vide.
Le film ne filme rien sur la décadence, car il reproduit les mêmes images que l'on a vu cent fois ailleurs. Megalopolis, ironiquement, ne raconte rien sur la mégalomanie, car celle-ci est sans conséquence pendant 2h20.
Pour boucler les thèmes aborder en intro, j'aimerais finir cette critique en conseillant deux films. Je pense que les interrogations soulevées au début et par Megalopolis méritent d'être plus réfléchies. Voir que le cinéma peut aborder ces thèmes indirectement est très intéressant. Le premier est "Mon nom est Personne", qui a par ailleurs inspiré le nom de cette critique. Dans ce film, il est question du génie en plein chemin vers la sénilité, et de savoir si ce dernier pourra reproduire un ultime coup d'éclat pour clore sa carrière. Le second est "Autour de minuit", qui raconte l'histoire d'un joueur de jazz fatigué et mal en point, et la façon dont il parvient à retrouver une ultime inspiration, le temps d'un instant.
Coppola m'a déçu alors que j'entrais dans la salle à reculons. Toutefois, son ultime tâche n'annule pas ses prouesses passées.