À l'âge de 85 ans, Coppola s'est rendu compte qu'il ne pourrait peut-être plus jamais réaliser un autre film, et que s'il voulait vraiment réaliser celui-ci, il devrait le financer lui-même. Le projet était démesuré et ambitieux : un grand casting, des décors artistiques et d'immenses scènes. Coppola n'a pas lésiné sur les moyens pour réaliser son rêve, investissant une fortune (130 millions de dollars), pourtant bien conscient qu'il créait un film qui avait peu de chance de toucher une large audience.


Le film est dans l'esprit de Coppola depuis 1974. Mais il devait d'abord se faire un nom en tant que figure importante et illustre dans le monde artistique. Entre 1972 et 1974, il réussit à le faire, mais le moment n'était pas propice. Le concept du film n'était pas encore totalement mûr à l'époque, ou peut-être qu'il avait réalisé que sa vision se heurterait à des contraintes financières. En 2001, après les attaques du 11 septembre, il revient à l'idée, mais celle-ci avait besoin de plus d'écriture et moins d'émotion. Coppola croyait alors que le bon moment était venu, alors que les États-Unis et le monde faisaient face à des crises et des valeurs morales en déclin.


Megapolis est une fantaisie que le réalisateur décrit comme moraliste, prédisant que les États-Unis connaîtront une fin similaire à celle de l'Empire romain. Le film s'inspire des événements de cette époque pour dépeindre une situation qu'il considère comparable aujourd'hui.

Adam Driver joue un architecte visionnaire voulant transformer la ville en un grand monument en utilisant un matériau qu'il a découvert (le film ne donne pas plus de détails à ce sujet). S'opposant à lui dans ce projet, le maire de la ville et certains autres veulent construire un immense casino à la place. Cela reflète les propres luttes de Coppola avec Hollywood.

Les personnages du film symbolisent des figures de l’ère des Césars romains (Caligula, César, Cicéron, Crassus…), mais de manière allégorique, sans fidélité historique, cette symbolique n'est pas transmise à travers des décors historiques ou des costumes. Au contraire, l'histoire se déroule dans un monde contemporain qui mêle le présent à des visions de l'avenir. Fait intéressant, les seuls personnages qui s'habillent comme des Romains dans certaines scènes sont les élites. Ils agissent comme si c'était un signe de supériorité, mais ils ne voient même pas l'ironie : ils ont choisi de se modeler sur un empire qui s’est effondré de manière spectaculaire. Et ce n'est pas seulement les vêtements. Ils sont trop occupés à faire la fête, comploter et s'obséder à préserver leur pouvoir pour embrasser le progrès. Ils sont montrés comme des intrigants et des ivrognes.


Le film parle de la façon dont le pouvoir corrompt la société lorsqu'il sert des intérêts égoïstes. Du point de vue de Coppola, ce qui est arrivé à l'Empire romain résulte de l'intérêt personnel et de l'intensification de la rivalité autour de celui-ci. Coppola voit ce même type de rivalité croître dans l'Amérique moderne.


Coppola a quitté Cannes sans prix pour Megalopolis, ce qui en dit long sur les priorités du festival. Oubliez la stature imposante de ce réalisateur légendaire, sa place dans le cinéma américain et son histoire cinématographique illustre. Le problème auquel ont été confrontés la moitié des critiques et des membres du jury de Cannes réside dans leur manque d'intérêt pour le contenu du film d'une part, et leur mépris pour la créativité artistique avec laquelle Coppola a surpassé tous les autres films en compétition, d'autre part.

Trois des principaux prix à Cannes ont mis l'accent sur des thèmes sexuels : Anora, qui a remporté la Palme d'Or, tourne autour d'une prostituée et de ses romances ; Emilia Perez, qui a remporté deux prix (le Prix du Jury et la Meilleure Actrice), raconte l'histoire d'un chef de gang latino voulant changer de sexe ; et Jesse Plemons, qui a remporté le prix du Meilleur Acteur pour Kind of Kindness, joue un homme pratiquant la bisexualité. Ce qu'on peut en déduire, c'est que le jury a peut-être privilégié des films centrés sur des thèmes sexuels contemporains plutôt que des explorations artistiques plus larges.

Megalopolis est à la fois un témoignage et une célébration de la carrière extraordinaire de Coppola. L'oubli du jury de Cannes reflète leur déconnexion vis-à-vis des œuvres qui exigent de la maîtrise et qui abordent des thèmes bien plus vastes que ceux des autres films.


Le film de Coppola est une œuvre monumentale sur le plan visuel et intellectuel. Il examine comment le monde s'éloigne de la vérité, de la logique et de l'éthique dans sa quête de pouvoir. Les critiques du film rejettent son message, le jugeant démodé et sans pertinence, et ne parviennent pas à apprécier la brillance artistique qu'il offre depuis sa première scène jusqu'à la dernière. Comment, dès lors, ceux qui ne parviennent pas à comprendre son intention, ou qui la comprennent mais ne sont pas d'accord, peuvent-ils l'admirer ?

sabribenabbes
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le 15 déc. 2024

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