Dans son second film, Boris Lojkine nous présente un jeune homme venu de Guinée, Souleymane (joué par Abou Sangaré). Au cours des premières minutes, nous sommes exposés à sa situation: il attend son tour afin de rencontrer un agent d'immigration.


Le film effectue un retour en arrière pour nous raconter les 48 heures qui ont précedées ce moment. On le suit alors qu'il pédale dans les rues de Paris, travaillant comme livreur de repas à domicile. Etant sans-papiers, il ne travaille pas directement pour la plateforme de livraison mais pour le compte d'un tiers, un autre Guinéen arrivé en France avant lui, qui lui promet de le payer le lendemain. Souleymane a particulièrement besoin de cet argent pour payer un troisième homme. Un africain qui propose un service de consultant des dossiers de demandes d'asile, écoutant les histoires des migrants et les modifiant pour qu'elles aient un impact plus fort pour les entretiens. Cependant, ce consultant a en sa possession les papiers de Souleymane et ne lui rendra que lorsqu'il sera payé.


Le film suit les péripéties que Souleymane traverse dans son travail, auprès de son employeur qui refuse de le payer et le blesse en le poussant dans les escaliers, et, auprès du consultant qui, après s'être laissé attendrir, rend les documents que Souleymane a besoin pour son entretien. Tout cela arrive avant son rendez-vous pour sa demande d'asile, qui déterminera le futur de Souleymane en France.


À l’heure de cet entretien, la fonctionnaire l'emmène dans son bureau et commence à lui poser des questions sur son parcours ainsi que sur les motivations de sa demande d’immigration. Souleymane récite alors l'histoire de refugié politique que le consultant lui avait conseillé de raconter. Après l'avoir regardé attentivement, elle lui dit que d'autres lui ont déjà raconté la même histoire, mot pour mot. Ce n'est pas une surprise puisque le consultant repète souvent les mêmes histoires. Souleymane décide alors de dévoiler les vraies raisons derrière sa volonté d'immigrer en France. C'est une motivation purement financière, afin de couvrir les frais médicaux de sa mère, cette dernière étant accusée de folie dans son village natal. Il raconte alors à l'agent toutes les difficultés qu'il a rencontré avant d'arriver jusqu'à la côte italienne par la Lybie. La fonctionnaire le regarde alors avec sympathie, mais ce n'est pas elle qui a le pouvoir de le laisser s'installer en France.


Le dernier plan montre Souleymane dans une rue parisienne. Il ne connaitra pas le résultat de son entretien, et les spectateurs non plus. Si positif, il pourra rester en France. Sinon, il aura un mois pour tenter sa dernière chance et faire appel de la décision.


Le film nous fait subir une tension oppressante. Nous suivons le quotidien stressant d'un jeune homme dont l'avenir ne tient qu'à un fil. Cette tension est particulièrement ressentie grâce aux sons du film, qui ne cessent de retranscrire les bruits stressants de la ville. A vélo, les bruits de klaxons et de freinages sont nombreux ce qui rappelle le danger constant que risque Souleymane, particulièrement de nuit. Son rare moment de repos au dortoir collectif est interrompu à l'aube par des sonneries de téléphone qui résonnent simultanément, assurant qu'il n'y aucune mélodicité dans son réveil. Même la scène finale de l’entretien, qui se déroule dans un espace clos contrastant avec le reste du film par sa luminosité et son calme, ponctue l’histoire touchante de Souleymane du bruit froid et mécanique du clavier d’ordinateur, comme s’il livrait ses émotions à un système incapable de réellement les comprendre. Ainsi, tous les sons contribuent à l'atmosphère pesante du film.


Abou Sangaré nous livre ici une superbe performance ayant vécu lui même des expériences similaires. Repéré par le réalisateur, qui a vu en lui l’incarnation parfaite du personnage, il a partagé ses nombreuses mésaventures, enrichissant ainsi le film d’une authenticité rare. Bien qu’il n’ait jamais joué auparavant, son manque d’expérience est aussi un atout pour l’approche ultra-réaliste de l’œuvre.


L'histoire de Souleymane est un film dramatique qui pourrait presque se confondre avec un documentaire, notamment dans le premier quart d'heure, avant que le casting s'élargisse. Il raconte une histoire dans une volonté de la documenter, réussissant à la dépeindre avec réalisme poignant une expérience à laquelle de nombreuses personnes sont exposées.


Le réalisateur ne fait aucun faux-pas en mettant en lumière de cette façon des milliers d'individus, qui, comme Souleymane, cherchent simplement un nouvel endroit dans l'espoir d'une vie meilleure. Pour lui, rien n’est facile et rien ne lui est donné.

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