Appréhender Memoria peut être proprement terrifiant. Après avoir déclaré forfait devant son précédent long-métrage, Cemetery of Splendour, j'ai pourtant décidé de m'enfermer plus de 2h, au cinéma, avec Apichatpong Weerasethakul, comme si la présence de Tilda Swinton, à l'affiche, m'avait encouragé à passer la porte. Elle y incarne une femme hantée par un son monstrueux qu'elle est la seule à entendre et dont elle veut percer l'origine...


Intrigué par ce pitch accrocheur et grand fan des films contemplatifs de Belà Tarr et de Tarkovski, je me crois prêt à endurer ce genre exercice ! Mais dès les premières minutes, il apparaît que ce Mémoria sera beaucoup plus abstrait que les long-métrages de mes poètes soviétiques favoris et qu'aucun souffle épique ne viendra le traverser pour m'encourager à tenir ! Ici, le rythme est très lent, l'action est réduite au minimum et les plans sont désespérément fixes. Même si la magie et les légendes chères au cinéma d'Apichatpong parsèment discrètement son univers, toute l'action semble avoir lieu dans un monde simple, naïf et ennuyeux. Je commence à décrocher.


Autour de moi, plusieurs spectateurs s'endorment, je sombre aussi quelques minutes et atteint ainsi un état méditatif qui m'aide à m'ouvrir beaucoup plus au rythme du film. Je reste intimement persuadé que cela fait partie de l'expérience proposée par Apichatpong Weerasethakul : lâcher prise, oublier le temps et l'espace et se perdre dans une rêverie zen. Peu à peu, je sens que le film m'envoute à mesure que le personnage de Tilda Swinton s'enfonce dans les limbes de sa mémoire.... Et puis... tout bascule !


Au cœur de la jungle, Tilda fait une rencontre qui transforme le film en expérience sensorielle inoubliable. Apichatpong arrête le temps, nous fait contempler le sommeil et la mort et livre un poème magnifique sur la mémoire, le traumatisme et le destin de l'humanité. Nous voilà embarqués dans un voyage métaphysique entre le temps et l'espace avec de simples plans fixes trop longs, des acteurs statiques et des sons mystérieux. Pas de coup de théâtre, d'images fortes ou de mécanisme scénaristique grossier, ici, l'émotion est brute, indescriptible et arrive sans prévenir, comme un souffle qui traverse les grands chefs-d’œuvre. L’atterrissage a lieu quelques part, entre deux ou trois plans brumeux de la jungle et nous laisse sidérés et épuisés, alors même que le film reste toujours zen. Même s'il en laissera beaucoup sur le bord du chemin Memoria a pour moi rejoint Andrei Roublev dans la liste des films poétiques qui m'ont marqué à jamais !

Incal
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le 23 juil. 2021

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