Memory
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Film de Michel Franco (2023)

Excellente surprise qu’est la découverte du dernier film du cinéaste mexicain. On est étonné que Michel Franco ait réussi à nous émouvoir, tant ses derniers films d’un savoir-faire indéniable étaient lestés d’une lourdeur dans le propos. Ouf, on respire enfin !

Sylvia est assistante sociale. Elle mène une vie simple et bien réglée. Lors d'une réunion d'anciens élèves de son lycée, elle retrouve Saul, qui la suit chez elle après leur réunion. Cette rencontre surprise va les replonger dans leur passé et profondément les affecter.

‘Memory’ reprend un canevas vu et revu au cinéma mais dont on ne se lasse pas. Un homme et une femme se rencontrent et vont s’aimer. A ceci près qu’ici, ce n’est pas tellement l’aspect sentimental qui est important. Ce qui les unit c’est la mémoire. Lui souffre de démence et la perd. Elle ne se remet pas d’un traumatisme, et donc en a trop d’une certaine manière. Isolés par leurs conditions respectives, elle et lui se rapprocheront.

Ce qu’il y a de beau, c’est que Michel Franco filme à fleur de peau mais sans excès de pathos deux solitudes, deux écorchés. Lui par la maladie, elle par un traumatisme familial qui les isole et les met en marge de leur entourage. Voir cette scène de retrouvaille entre anciens camarades de lycées où Sylvia n’arrive pas à s’intégrer. Il est intéressant de noter qu’elle semble légèrement déclassée par rapport à sa famille. Elle lui apportera la compagnie qui lui manque et lui permettra un semblant de réinsertion. Il rendra un sens à sa vie à elle.

Michel Franco place son histoire dans un New York inhabituel qu’on voit assez rarement au cinéma. Un New York excentré et loin des beaux quartiers. Un New York dans lequel on croise les alcooliques anonymes, un centre d’accueil. En fait, le film se place sous l’égide de l’entraide et de la bienveillance envers l’autre. Il y a l’entraide entre elle et lui. Il y a Isaac, le frère de Saul, qui prend en charge et s’inquiète constamment pour son frère. C’est tout simplement beau. C’est assez bateau de le souligner mais c’est pourtant bien agréable de voir un film qui ne fait preuve d’aucun cynisme.

On n’attendait pas le cinéaste Michel Franco sur le terrain de l’émotion. Le réalisateur mexicain faisait des films intéressants jusque-là mais toujours empreints d’une certaine lourdeur dans le propos et d’une sur-signification dans le message de ses films. Les luttes entre classes sociales dans ‘Nuevo Orden’ ou la relation trouble entre un frère et une sœur dans ‘Sundown’ dont on avait parfois l’impression qu’elle frôlait l’inceste. Franco se déleste ici de tout ça et quand le traumatisme de Sylvia est évoqué à deux reprises, il le fait crument et en rend toute la violence mais ne se vautre jamais ni dans le pathos, ni dans le larmoyant.

Il faut souligner à quel point les acteurs sont tous vraiment excellents. Peter Sarsgaard, qui n’a pas volé son prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise, est d’une étonnante douceur et a la cocasserie que l’on retrouve parfois chez les personnes atteintes de troubles mentaux. Jessica Chastain livre une interprétation à fleur de peau et rend toutes les fêlures de son personnage, toujours au bord du précipice. Les seconds rôles sont très bien écrits et remarquablement interprétés. Jessica Harper, dans le rôle de la mère de Sylvia, a la dureté et la violence feutrée que peut parfois avoir la grande bourgeoisie. Merritt Wever, dans le rôle de la sœur, livre une composition surprenante d’adulte encore enfant. Enfin, il y a l’excellent et sous-estimé (et même ici, un peu sous-utilisé) Josh Charles dans le rôle d’Isaac, le frère de Saul. En deux courtes scènes assez dures, il exprime toute l’inquiétude d’un homme qui s’occupe constamment de son frère, en vigilance constante.

Le long-métrage de Michel Franco ne prête pas à la légèreté mais il traite de son sujet avec pudeur, distance et sans aucun excès. En espérant, que ce film ouvre une perspective dans la carrière du cinéaste mexicain et qu’il nous épargne désormais la pesanteur de ses anciens films.

Noel_Astoc
8
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le 3 nov. 2024

Critique lue 3 fois

Noel_Astoc

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