Si je vous avoue que j’ai appris à lire dans le Grand cirque de Pierre Clostermann, vous admettrez que, très tôt, j’ai développé une passion coupable pour l’aviation. Vous concevrez donc l’empressement avec lequel je me suis précipité pour assister à la première du film et l’intensité de ma déception. Le temps a passé, accordons-lui une seconde chance.
Le pitch est d’une rare simplicité. Mai 1943, l’US Air Force entend donner le plus grand retentissement à l’achèvement du premier tour d’opérations sur l’Europe occupée. L’heureux B-17 élu pourrait être le Memphis Belle, qui n’a plus qu’une mission à accomplir sur les 25 imposées. D’une absolue linéarité, le scénario se focalise sur un équipage stéréotypé ; le hâbleur, le sportif, l’intello, le mystique, le coureur, le menteur… ; et leur sage capitaine, joué par Matthew Modine, l’inoubliable sergent de Full metal jacket. Le vol sera mouvementé et nous vivrons, à leur contact, tout le panel des émotions prévisibles : l’ennui, la solitude, la fête, l’attente, la panique, l’excitation du combat, le relâchement, la toute-puissance, l’empathie pour les copains qui tombent, la colère, la rivalité, la peur encore… Gênée par les nuages et de crainte de toucher une école, l’escadre fait demi-tour pour se présenter à nouveau sur la cible. Vaste blague !
La jeunesse des aviateurs est frappante, confirmant l’adage selon lequel la guerre est l’activité qui consiste à pousser des gamins à s'entretuer au bénéfice des anciens. Nos héros jouent les durs, or, ils n’ont guère plus de six mois de plus que les bleus, frais émoulus des écoles. Les quadras, tous officiers supérieurs, trompent leur oisiveté sur la base, dans l’attente du retour des quadrimoteurs et de la cruelle séance de décomptage. Combien en manquera-t-il ?
La reconstitution de Michael Caton-Jones est remarquable. Jeeps, blousons, allumettes, tout est parfait. Les prises de vue réelles donnent une image exacte de l’exiguïté des carlingues et de la patine des machines. La production a réuni six Boeing plus ou moins volants (l’un d’eux s’écrasera, blessant quatre techniciens) et un septième statique. Les vétérans ont été réarmés et peints aux couleurs du Wing. Subtile économie, ils portent sur chacun des côtés une livrée différente. Le caméraman tente de varier les plans, pourtant, le compte n’y est pas. Une base accueillait des centaines d’appareils, ailes contre ailes. D’indigentes images de synthèse simulent un combat box fort de dizaines de silhouettes immobiles et peu convaincantes.
Quel est le message du film ? La Seconde guerre mondiale a été remportée par les USA ! Ok. L’Oncle Sam a perdu 416.000 soldats (sur 14 M d’appelés). Deux corps ont été particulièrement étrillés : les Marines et les bombardiers. Si les premiers ont reçu leur content d’images de propagande, les seconds ont été plus mal lotis. Il était temps de leur rendre hommage.
PS. Selon le très officiel US Strategic Bombing Survey, les Anglais (de nuit) et Américains (de jour) déversèrent 2,77 M de tonnes de bombes en 1,44 M de missions. Ils tuèrent 300.000 civils (500.000 pour Jörg Friedrich), en blessèrent 780.000, détruisirent 3,6 M de logements et rasèrent 40 % des grandes villes. Le rendement est faible ! Cinq missions, soit 50 aviateurs et dix tonnes de bombes, pour tuer un malheureux civil ! Le tout au prix de 158.000 tués, 22.000 bombardiers et 18.000 chasseurs perdus. Le taux de perte flirtera avec les 5 %, culminant à 20 % sur quelques sorties, avant de s’effondrer fin 1944.
Why ? Officiellement, pour contraindre le peuple allemand à s’insurger contre son tyran de führer. Admettons. L’échec fut patent. Un tardif effort porté sur l’industrie pétrolière associé la montée en ligne, mi 44, de chasseurs à long rayon d’action (Mustang P-51) brisera néanmoins la chasse nazie.
La vérité est ailleurs. Stalingrad (hiver 1942/43) marque le début de la fin. La guerre est gagnée. Les Anglo-Saxons vont temporiser, le temps que les Russes achèvent le sale boulot. Staline s’impatiente : on lui livre des camions et des explosifs, on lui promet un débarquement, repoussé régulièrement, et, pour faire bonne mesure, on bombarde et débarque en Sicile. L’Armée Rouge va anéantir le corps de bataille adverse. Le débarquement en Normandie n’affrontera qu’une armée exsangue et peu combative. Les pertes ricaines ne représentent qu’1,3 % du total des 17 millions de soldats tués en Europe ; dont dix millions de Russes et cinq et demi d’Allemands. Oubliez tout cela ! Post-scriptum un peu long, désolé.
2020