Un jour, on a décidé que le film d’horreur devait avoir des thèmes.
Ce qui est bien – la reconnaissance par le mainstream de l’intelligence du cinéma de genre ? Ca fait plaisir à voir. Filez vos oscars à Jordan Peele, c’est justifié, et tout et tout. Le problème, évidemment, vient du fait que de plus en plus, on ne justifie le cinéma de genre QUE par ses thèmes : si on ne peut pas se raccrocher à un sujet à la mode, alors pourquoi faire un film ? Une vision un peu triste du cinéma, tout de même. Et qui, ironiquement, finit souvent par diluer la charge politique d’un film : le Candyman de Bernard Rose est infiniment plus radical et plus provocateur dans son ambiguïté que celui de Nia DaCosta, par exemple, qui finit par ressembler à une dissertation griffonnée au dos d’un programme de la NUPES.
Il suffit de voir Halloween Kills, qui s’est fait (justement) tancer pour tenter d’élever artificiellement un scénario concon à grands renforts de déclarations sur le handicap, le stress post-traumatique, ou la mentalité de vigilante aux Etats-Unis, pour comprendre à quel point la récupération par le système des studios hollywoodiens de cette mode de l’elevated horror est complète. Le récent échec artistique du Northman de Robert Eggers pointe pas mal dans cette direction, aussi, rendu anémique à force de compromis avec les studios.
C’est là que déboule Alex Garland, pour nous offrir un film d’horreur à thème. Pourquoi pas ? L’homme est talentueux – je le préfère en scénariste plutôt qu’en réalisateur, vu sa tendance à se perdre dans des espèces de labyrinthes conceptuelo-masturbatoires quand il est seul aux commandes (la série DEVS, je suis désolé, mais j’ai tenu un demi-épisode devant l’ennui général) – mais un métrage comme Annihilation montre clairement sa capacité à jongler avec l’abstrait et l’angoisse. Et ce n’est pas vraiment un terrain qu’il avait exploré auparavant. L’espoir était vivace.
C’est peu de dire qu’il a été déçu – après des débuts prometteurs, Men se révèle comme un spécimen particulièrement agaçant de cette vague de films qui tentent de dissimuler leurs intentions bassement mercantiles derrière une prétention qu’ils croient être de la profondeur. Pire : artistiquement, Garland, pour la première fois, semble être en autopilote, vu la façon dont il pille allègrement d’autres réalisateurs. Le film n’est rien d’autre qu’un décalque très explicite d’Antichrist de Lars von Trier (il y a même le membre de la famille qui tombe de la fenêtre au ralenti !), qui se vautre dans une esthétique folk horror à la Wicker Man, et pique même quelques scènes à Mike Flanagan (la main déchirée rappelle Gerald’s Game, et toute la scène du tunnel pourraient directement venir d’Absentia, son premier et très sous-estimé film).
Mais revenons au début du film – parce que pendant peut-être quarante, cinquante minutes, les choses ne se passent pas si mal. Jessie Buckley est une des plus grandes actrices travaillant aujourd’hui, et si sa performance ne vaut peut-être pas un i’m thinking of ending things, elle reste pleine de charisme. Tout particulièrement dans ces flash-backs montrant avec une grande cruauté la dissolution d’un couple – ce sont de très loin les meilleures scènes du film, pleines d’une intensité et d’un venin que le scénario ne touchera jamais plus. Et Garland sait faire de la mise en scène : les décors sont magnifiques, la scène de ballade en forêt est un vrai, bon morceau d’angoisse, et la photo, en plus d’être très jolie, raconte vraiment quelque chose dans le choix des couleurs (les verts éclatants de la nature qui répondent à la lumière rouge omniprésente dans les flash-backs, simple mais très signifiant). Rory Kinnear ne fait pas vraiment peur, mais son rôle est gentiment dérangeant dans le côté comique et ridicule, pourquoi pas. Où est-ce que le film va aller?
La réponse à cette question, c’est « vers du grand n’importe quoi ». Le fait est, Men est un film qui n’a rien à dire. Rien à dire à part « euuuuh, les hommes, je sais pas ce que vous en pensez, mais en fait, des fois ils font des trucs pas cools et ils sont pas gentils ». Ce qui est vrai. Qu’il y ait un système de domination masculine tressé à travers la société, je pense que personne ne va arguer le contraire en 2022. Simplement l’affirmer et le répéter, en revanche – ça ne fait pas assez de matière pour un scénario. On finit par gémir devant chaque nouvelle hot take que le film nous assène, comme s’il venait de découvrir le féminisme des années 70. Oui, Alex, bravo, tu as compris que les institutions (représentées par le Kinnear-vicaire et le le Kinnear-policier) servent souvent à opprimer les femmes. C’est bien, Alex. Tu veux un susucre ?
N’ayant donc rien à dire, et ne voulant pas prendre la peine d’écrire un vrai développement de personnage pour son héroïne (à part « elle se débarrasse de son trauma », si vous êtes très généreux, mais ces scènes finales sont tellement vagues qu’elles pourraient tout et rien indiquer), le film n’a rien d’autre à faire que de partir dans l’outrance la plus extravagante, entassant les signifiants les plus provocateurs possibles dans l’espoir de signifier quelque chose. C’est un peu comme si le texte essayait de se compléter en lançant des fléchettes à gauche à droite. En vain. Le côté cadavre exquis peut avoir un petit charme, j’avoue, et j’ai bien ri durant cet invraisemblable climax (#maïeutique), mais ça n’enlève pas la vacuité terrifiante du machin. Qui d’ailleurs, se permet d’indiquer en plein dialogue la seule idée un peu intelligente de son troisième acte, au cas où quelqu’un l’aurait ratée : vous avez vu que les blessures infligées aux Hommes sont les mêmes que celles dont a souffert son mari après son suicide, hein ? Vous avez vu que c’est un film sur la souffrance et le traumatisme et la façon dont la société traite les femmes qui souffrent et sont traumatisées ? VOUS L’AVEZ VU ?!
Ce que j’ai vu, c’est surtout l’absence totale d’ambition d’un cinéaste pour le moins fatigué. Le cinéma peut transformer, sublimer, réifier – pourquoi devrait-on croire que la simple représentation métaphorique d’une souffrance historique suffit seule à remplir, à colorer, les paysages de notre imagination ?