Inscrit dans la droite lignée de thématiques qu'il a plusieurs fois abordée par le passé, Men reste peut-être le film le plus radical d'Alex Garland. Mélange de folk et de body horror, abordant la légende des green men que l'on croise sous forme de gargouilles dans de nombreuses églises médiévales anglaises, Men propose l'exploration de la psyché toxique d'une poignée de personnages masculins face à une jeune femme souhaitant se libérer d'un traumatisme. Sans pour autant être un trip intello prétentieux et prise de tête, le film fait indéniablement triturer les neurones de ses spectateurs. Souvent pour le meilleur, mais aussi parfois pour le pire.

Le meilleur reste certainement la manière frontale dont Garland aborde l'oppression masculine en offrant au même comédien, l'excellent Rory Kinnear, la possibilité d'interpréter tous les personnages nocifs. Avec ses faux airs de Sharleen Spiteri, la protagoniste, dénommée Harper, loue un superbe cottage paumé dans la campagne anglaise afin de faire le point avec elle-même, suite au récent décès de son mari, un homme extrêmement possessif qui se serait (peut-être) suicidé après leur violente rupture. Confrontée aux étranges autochtones masculins, dont un mystérieux vagabond intégralement nu, Harper se sent indéniablement menacée et s'enferme dans sa propre paranoïa face à la perniciosité que chaque homme représente...

Le pire, à mes yeux, réside ici dans la promotion du tristement célèbre argument contradictoire "not all men", clamé par les plus extrêmes des féministes post-#MeToo, que Garland justifie, paradoxalement à ce que j'écrivais plus haut, en utilisant le même comédien pour représenter l'oppression masculine. L'idée s'annule ainsi d'elle-même en exposant le magnétisme surréaliste de la terrifiante situation à sa bouffonnerie la plus grotesque dans un final aussi décadent que contradictoire et avec ses multiples renaissances par le biais de grossières vulves assassines. Une antithèse scénaristique où légendes, motifs et symboles se mixent pour démontrer un propos féministe que le cinéaste avait déjà précédemment mis en valeur dans Ex_Machina en 2015 et dans Annihilation en 2018.

La bonne nouvelle dans Men, c'est que Garland s'éloigne considérablement de la personnification féminine badass que James Cameron a manifestement imposé pour certaines figures légendaires telles qu'Ellen Ripley dans Aliens ou encore Sarah Connor dans Terminator 2 qui ont, par la suite, été clonées à l'infini avec plus ou moins de bonheur dans l'univers cinématographique hollywoodien. En incarnant la traumatisée Harper, la comédienne irlandaise Jessie Buckley transfigure un tempérament combattif en le saupoudrant d'une munificente sensibilité à mille lieues de tout surréalisme au sein d'un univers qui l'est néanmoins à 100%. Le yin et le yang s'affrontent ainsi inconditionnellement pour favoriser les puissances d'animation qui président au dynamisme de la nature et à la transformation des êtres et des choses, sujet immensément cher à Garland. Et si les éternelles interrogations de ce dernier prennent de plus en plus une tournure féministe, il n'en reste pas moins que la protagoniste de Men réagit plus que violemment face à l'écho de sa propre violence. La sublime scène dans le tunnel, dont Geoff Barrow (ex-Portishead) et Ben Salisbury se sont pertinemment inspirés pour composer le très beau score, définit en quelques secondes le long travail thématique de Garland : la beauté altérée par la peur de l'inconnu... dont la nocivité masculine, extrême et sans limite, fait ici indéniablement partie.

Quant à la toxicité féminine, on en parle ou on attend qu'elle soit un sujet à la mode ?

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le 15 août 2023

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le 26 nov. 2024

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