D'aucun pourraient être gênés à la vue de "Merci Patron". D'une part à cause de la présence de Ruffin dans Merci Patron, car il filme son implication dans un registre très actif, et de l'autre par l'aspect promotionnel que l'auteur en a fait. Par exemple, la vente du journal Fakir (dont Ruffin est le Rédac' Chef) à la fin des séances, l'émission avec Apathie sur Europe 1, les rendez-vous à la bourse du travail... N'ayons pas peur de le dire : c'est assumé et même claironné sur tous les toits à qui veut l'entendre. Ruffin par le biais de son Fakir assume que sa personne soit au centre du dispositif. Il le dit dans son journal, il le dit en interview. C'est une position de lutteur et c'est comme cela qu'il faut voir le film : comme un coup politique porté à l’adversaire par Ruffin pour sauver les Klur, une famille dont le potentiel de sympathie n'a d'égal que la bravoure.


Bravoure car, jamais de mauvaises idées derrière la tête mais pourtant parfait dans leur rôle (mention spéciale à Jocelyne Klur). Bravoure car il et elle ont construit ensemble leur maison et qu'ils sont prêts à la faire sauter, comme dans un feuilleton célèbre - et un peu haz-been - qu'ils ont l'air de bien connaitre. La première performance du film est de nous faire rencontrer Serge et Jocelyne Klur. Couple touchant de sympathie que l'on sait connaitre car proche de nous, proche de nos proches. Et Ruffin de faire tout son patacaisse avec leur consentement amusé pour obtenir des choses ahurissantes de la part de LVMH. D'autres personnages sont marquants, tous ont pour point commun de faire voir leur humanité à l'écran, belle ou hideuse. Ni fonction narrative, ni instrument scénaristique, juste des humains.


Alors quoi ! Ne boudons pas notre plaisir ! Car rarement a-t-on vu des puissants se faire rouler ainsi dans la farine. Dans les films de Pierre Carles ou dans ceux de Michael Moore, il y a toujours un sentiment d'impuissance qui se dégage du film : le système est préparé et il résiste assez bien. Si on peut observer, parfois éberlué de toute la décadence morale des puissants filmés, l'humiliation, le coup de poing n'est pas là. De la petite initiative de Fakir, nous rions au début, attendris. Puis, ce personnage de chien de garde si caricatural, et terrifié par brusques à-coups. Terrifié par qui, ou par quoi ? Par... Mélenchon, Médiapart, Marrianne ? Non. Terrifié par Fakir. Un trimestriel de 6.000 abonnés de rien du tout que même moi-qui-suis-de-la-gauche-gauche-gauche j'achète presque pas. Par la suite, tout s'enchaîne et on voit à quel point le géant LVMH a des pieds en argile. La victoire des Klur et de Farkir est totale. Un 7-1 de final de coupe du monde. La réaction des gens d'LVMH est grotesque, prévisible. Amateurs...


Ce que dégage le film Merci Patron - qu'en est pas vraiment un finalement, il s'agit plus d'une performance à l'aide du médium filmique - c'est un mode d'emploi. Qu'est ce qui fait vraiment peur aux petits gars qu'on des grosses mains,de beaux costards et beaucoup d'argent ? Les coups de com', les irruptions dans AG d'actionnaires et de se faire piéger par de la gauche.
Tout y est dans ce film, on croirait à la farce tant il est surréaliste et ses personnages antagonistes burlesques ! Fantaisistes presque, car il surjoue le type d'LVMH ! Ah, si seulement il savait qu'il est filmé... L'émissaire de la sécurité en fait des caisses, il démoli lui-même l'image de son propre patron. Bravo ! En sus, le gars du PS bossant chez LVMH, c'est lui qui met le bordel. vendant la mèche publiquement sur le compromis entre les Klur et LVMH, il brise le contrat de confidentialité qui empêchait jusqu'alors le film de se faire... On croirait un mauvais scénario de téléfilm et pourtant tout est vrai. Ah ! En en ressort requinqué. Les puissants sont-il donc des caricatures jusque dans leur intimité ?


Le film de Ruffin est un coup de poing. Mais est-ce vraiment un film ? Il est évident que du point de vue du langage du cinéma, de la mise en scène, du cadrage, de la qualité des images... ça n'a rien d'un chef d’œuvre. Il n'y a pas de réelle cherche stylistique si ce n'est dans le dispositif lui-même, le style de la dérision, du discours contre discours (rôle que joue Ruffin avec un ton sarcastique) et d'une performance burlesque. Même la colorimétrie fait tâche, mais ce n'est pas ça l'important. Ce qui fait la qualité de ce film, c'est la démonstration politique qu'il est capable d'opérer avec une fluidité remarquable et un humour total. Les intentions de l'auteur sont assez claires car ce sont les mêmes que ses obsessions de journalistes et de militants (je cite) : "réunir la petite bourgeoisie intellectuelle (les urbains middle-class, grosso-modo) et les classes populaires dans une région où le FN fait 40% aux dernières élections". Auteur, journaliste et militant politique ne sont donc pas dissociés par Ruffin lorsqu'il réalise son film. C'est comme cela que l'on peut comprendre l'aspect assommant de la promotion. La posture de combat de Ruffin, c'est de ne pas se gêner pour se servir des armes de l'ennemi, de se salir les mains avec de la com' là où, à gauche, existe un sacré complexe vis-à-vis de ça. Certes, c'est pas noble et pas toujours très gauche, mais que ceux qui savent lutter avec autant d'efficacité tout en gardant les mains propres nous indiquent la formule, nous aimerions tous la connaitre.

Pôleperdu
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le 16 mars 2016

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Paul Balmet

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