Mystique urbaine
Booaaah, rien ne te prépare à Mercuriales, j'te jure. J'sais pas, quand on pense à film sur la banlieue, on peut penser à beaucoup de choses. De Bande de filles et son imagerie world cinema, aux...
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le 14 déc. 2014
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Les Mercuriales sont deux tours jumelles qu’on peut voir dans la banlieue Est de Paris (porte de Bagnolet) quand on passe sur certaines bretelles d’autoroute. Elles font une bonne vingtaine d’étages et leur construction date des années ’70, éléments d’un projet pharaonique qui battit de l’aile dès le premier choc pétrolier. Avec leurs antennes, elles ont l’étrange allure d’un World Trade Center en modèle réduit. Même si le réalisateur a du mal à se rappeler d’où vient exactement son inspiration pour le film, ces tours qu’il connaît bien (parisien de pure souche), lui rappellent effectivement le WTC avec tout ce que cela implique. Il est d’ailleurs question de deux sœurs dans le film (« Cette histoire se passe en des temps reculés, des temps de violence. Dans une ville, il y avait deux sœurs qui vivaient… »), on peut aussi bien penser qu’il s’agit de deux personnes comme des deux tours (l’une est le levant, l’autre le ponant).
L’introduction montre les dessous des jumelles, les salles de machines (générateurs, souffleries, etc.) lieux aseptisés avec de nombreux gros tubes métalliques colorés, des ascenseurs, des escaliers et des caméras qu’un surveillant présente à un nouveau, un jeune black qui semble un peu perdu dans ce dédale où la sécurité est l’objectif numéro un. Un personnage qu’on aurait aimé suivre, mais qu’on ne retrouvera que fugitivement à deux reprises.
En quelques plans, Virgil Vernier le réalisateur donne une vraie ambiance, en évitant la trop belle image aux couleurs éclatantes (film tournée en 16 mm, pour donner une impression d’intemporalité), la BO contribuant à faire sentir la modernité du lieu (signée James Ferraro, américain de Los Angeles dont le réalisateur dit que sa musique est de style rétro-futuriste, avec quelque chose de tribal). Cette modernité est renforcée par quelques plans de ce qui se passe à l’intérieur, avec l’accueil et les hôtesses, puis une salle d’attente où trois jeunes filles sont appelées directement par une voix dans un micro. Dans cette salle, au même moment, une femme tire les tarots à une autre. Observations pas du tout anodines, car le film est truffé de détails qui montrent que si les préoccupations sont intemporelles, les comportements sont de notre époque (on discute d’argent, de look, l’une des filles allant jusqu’à montrer ses seins, magnifiques grâce à des implants mammaires), les pratiques qui relèvent de l’irrationnel sont monnaie courante.
Le film suit le parcours, les rencontres de deux jeunes femmes, Joanne et Lisa, ayant des origines en Europe centrale (Moldavie notamment) en particulier avec Zouzou jeune mère black. Le scénario est le point faible du film, le réalisateur expliquant ne pas avoir écrit de dialogues mais plutôt un synopsis (pour obtenir des financements). Mais il s’avoue incapable de résumer son film, ce qui est révélateur, puisque l’essentiel est une succession d’épisodes qui manquent singulièrement de liant. Pour compenser, le spectateur s’amuse de quelques situations surprenantes, au fil des rencontres. Parmi celles-ci, l’une d’elles me semble significative de ce que le réalisateur veut faire passer. A une soirée, l’une des filles est attablée et discute avec un homme qui est visiblement un européen converti (musulman). On assiste à un véritable dialogue de sourds, l’homme reprochant à la jeune femme d’être à demi-nue parce qu’elle porte une robe de soirée épaules dénudées. Elle prend la remarque comme une insulte, se sentant traitée de pute alors qu’il n’a rien dit de tel.
Le film montre ainsi l’opposition entre un monde tourné vers l’avenir (aspect brillant et coloré) et une population qui a bien du mal à suivre le rythme de la modernisation, cherchant maladroitement une place, d’où malaises, violences et besoin de recourir à des pratiques d’un autre temps (rituels paiens, sorcellerie). Le réalisateur affirme que dans les lieux impersonnels que nous fréquentons tous, il a besoin de croyances (et il a étayé son film de documents qui font partie de ce qu’il appelle ses archives des temps présents).
Mercuriales est intéressant dans les intentions et dans l’état d’esprit. A voir donc, avec une certaine indulgence vis-à-vis de l’aspect décousu (premier long métrage de fiction, film indépendant monté avec un budget serré). Présenté à Cannes (sélection ACID, le off du festival), il bénéficie de la belle entente entre Philippine Stindel et Ana Neborac dans les rôles principaux.
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le 26 nov. 2014
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