Mes meilleurs copains souffre d’un certain mépris aux yeux de quelques critiques, alors qu’au contraire, beaucoup d’autres le tiennent en très haute estime, en en faisant même un “film culte”, représentant l’apogée d’une génération d’acteurs. Autant dire d’entrée que je me situerais volontiers dans le tranche laudative, mais je peux bien sûr entendre quelques arguments rétifs à défaut d’y adhérer entièrement.
J’écarte évidemment ceux qui sont totalement inacceptables, quasiment ad hominem sur les noms de Jean-Marie Poiré et de Christian Clavier et leurs impies désirs de se colleter à une comédie plus humaine, à l’italienne, lorgnant vers la fresque de grands copains qui rappelle le diptyque d’Yves Robert ou plus gravement certains films de Claude Sautet. On les réfute ces faux arguments car si telles étaient les ambitions de Poiré et Clavier, elles sont parfaitement louables. Il est amoral même d’interdire à un artiste de vouloir moduler son registre habituel pour se rapprocher de celui de ses pairs ou d’une tradition qu’il chérit. Bien entendu, cela n’a pas été explicitement commenté de cette manière, mais le snobisme ne se permet pas souvent d’être honnête et franc, préférant sous-entendre qu’exprimer ouvertement.
Et puis, il n’y a qu’à dire que c’est là une interprétation personnelle du dédain dont souffre le film que j’exprime. Ce film s’accorde la liberté de poser un regard nostalgique et mordant sur une période, une génération. Il exprime une critique empreinte de tendresse pour les errements de jeunesse, les espoirs déçus, les petites trahisons intimes. Et Jean-Marie Poiré, le cinéaste du
, du Père Noel est une ordure ou des Visiteurs, un cinéaste bourgeois, n’aurait pas le droit d’avoir une vision critique de sa propre jeunesse parce qu’il a eu du succès, parce qu’il s’est installé au sommet du box-office? Aberration intellectuelle et morale que je ne veux en aucun cas suivre une seconde de plus. Passons donc.
Reste qu’il est difficile d’écarter le regard critique et politique de ce film. A ceux qui diront que ce n’est qu’une comédie et que la politique n’a rien à voir là-dedans, je répondrais que la comédie est très souvent politique, par son essence même subversive, puisqu’elle attaque parfois les fondements de la société.
Or, Mes meilleurs copains fait cela de façon évidente. Et c’est d’abord le fourvoiement de la génération 68 qui est visé. Qu’on soit d’accord avec cette vision ou pas n’a pas d’importance. A titre personnel, je la trouve très exagérée, mais est-ce qu’elle n’en est pas moins comique? Non, le film est très drôle, qu’on le veuille ou non.
D’ailleurs, il n’exprime pas non plus un rejet de cette époque et des valeurs qui sont encore aujourd’hui au cœur de notre culture française, humaniste et tolérante (dans la meilleure des conjonctures, on est d’accord que ce n’est pas toujours le cas).
Le fourvoiement de cette engeance qui avait 20 ans en 68, c’est d’abord celui de la jeunesse tout court. Je suis né en 72, mon adolescence a touché les années 80-90 et j’ai cependant le sentiment profond que ce film me parle autant qu’aux autres. Cette génération n’est que l'illustration et le cadre d’un phénomène récurrent, une ritournelle simplement humaine, le passage difficile à l’âge adulte, un temps de désillusions bien souvent violent pendant lequel les mensonges du passé apparaissent dans toute leur crudité, un temps d’adaptation cruel qui, avec le temps, est un peu édulcoré grâce à la nostalgie. Les rêves étaient si forts, si passionnants, si pleins d’énergie qu’à 40 ou 50 ans, ils deviennent plus doux. Mes meilleurs souvenirs racontent bien tout ça.
Sa structure linéaire marquée par de nombreux flash-backs montre bien le fossé entre souvenir et réalité, entre passé et présent, l’évolution des hommes en somme, mais surtout éclaire leur parcours d’une lumière très attendrissante.
La critique peut paraître violente, mais le film est en fait foncièrement amoureux de ce temps perdu où l’on voulait refaire le monde. La révolution est belle, même si illusoire. D’ailleurs, illusoire, l’est-elle vraiment? Je ne crois pas au fond. C’est peut-être en cela que je m’éloigne le plus du propos du film. Mais c’est un autre débat qui dépasse le film et n’est pas des plus intéressants finalement. C’est l’essence de la grande Histoire et non celle de ce film. Laissons cela.
Par conséquent, Jean-Marie Poiré et Christian Clavier ont eu toutes les bonnes raisons et la légitimité à faire ce film plus personnel que les autres. et pour le spectateur, cet engagement inédit donne un résultat formidable.
De drôlerie d’abord, j’ai déjà dit la richesse comique du film. Dans le contraste entre passé et présent, dans les dialogues, l’interaction entre les personnages, mais également dans le pittoresque des caractères et des attitudes. Encore que… peut-être que voilà un petit bémol qui surgit selon moi : certains personnages sont un poil excessifs dans leur caractérisation. Je pense surtout à celui de Philippe Khorsand dont l’obsession et la mauvaise foi sont trop caricaturales pour rendre son rôle tout à fait crédible. Mais d’autres, comme celui de Jean-Pierre Bacri sont bien mieux dessinés et surtout montrent bien que l’écriture peut être plus subtile. Le personnage de Christian Clavier est très juste. L’acteur y met ce qu’il faut de sensibilité, restant très sobre (ce qui a pu désorienter chagriner ses fans de l’époque). Gérard Lanvin déroule, à son habitude, une prestation correcte, efficace, sans excès. Jean-Pierre Darroussin est le sujet d’un miracle : il parvient à créer un personnage hors norme, mais drôle et émouvant. En effet, ce héros a tout de la caricature hippie-stone, un type en dehors des clous en permanence, inclassable. Autant dire que le rôle est déraisonnable, de quoi se brûler les ailes et tomber dans la clownerie la plus brutale, or, Jean-Pierre Darroussin arrive par je ne sais quel prodige à le rendre humain malgré tout, bien palpable, un allumé, un excentrique touchant, dans le réel, véritablement incarné. Chapeau!
Faire ce voyage dans le passé, se retrouver auprès de ces personnages se révèle très plaisant. Cette génération dorée ayant eu le privilège de vivre avec intensité (et avec le plein emploi) dans un monde qui promettait tant, s’interroge avec malice sur ses choix de vie, sans doute se rendant progressivement compte qu’elle a été gâtée par la fortune d’une époque bénie et que les générations suivantes n’auront pas ces mêmes opportunités. En cela la nostalgie se mêle d’une sorte de reconnaissance et de vague à l’âme.
C’est pourquoi le film, même s’il porte quelques coups d’incisives, n’en est pas moins apaisé, du bonheur des veinards. L’équilibre du scénario entre critique et nostalgie, rire et mélancolie, paraît maîtrisé, judicieux. La mise en scène de Jean-Marie Poiré s’accorde au sujet et à la tonalité contemplative du récit : elle est plus sereine que dans ses autres comédies, plus énergiques allant même jusqu’à une sorte d’hystérie.
C’est logique, naturel. Mes meilleurs copains n’a peut-être pas la force et la subtilité des comédies d’Yves Robert, ni la méchanceté des comédies italiennes, mais reste un film marquant, rare dans la filmographie de ses auteurs, un très bon film à ne pas manquer.
trombi et captures