Peu adepte de ce genre de films d'habitude - je m'aperçois en lisant les critiques que j'ai assez peu de références -, je me suis pourtant laissé tenter par la bande annonce, qui suggérait une qualité plastique.
C'est bien le cas : à mi-chemin entre le film gore et le film d'auteur, Meurs, Monstre, Meurs est un objet cinématographique singulier, et, à ce titre, déjà digne d'estime.
Le film gore : Alejandro Fadel montre tout, et ne recule pas devant le sang qui gicle. A l'image de la première scène où, après qu'un mouton couvert de rouge a suggéré un drame, on voit la tête d'une femme progressivement se désolidariser de son corps. Le ton est donné. On va nager dans le poisseux, d'une façon démonstrative.
Ce serait banal sans les qualités esthétiques indéniables du film. Inventaire de scènes ou de plans de toute beauté :
- la scène en plan large de la police garée devant la ferme, qui lance des sommations, puis interpelle un suspect ;
- la tête de la femme retrouvée aux pieds d'un goret, association troublante ;
- la bergerie où Cruz retrouve le mari : beau plan de cette bâtisse pas banale au milieu d'un paysage de montagne ;
- les gueules fascinantes des protagonistes : ce vieux à l'oeil blanc, puis Cruz, puis le commissaire, puis sa maîtresse... tous ont des "trognes", et j'ai adoré le plan des trois à l'avant de la voiture de police (Cruz, la femme, son mari) ;
- la scène où le mari est pris de vomissements, sa femme essayant de le secourir, alors que la lumière faiblit par intermittence : très beau ;
- la scène où Cruz danse sur le lit en arrière plan, sa maîtresse nue au premier plan avec une barre qui coupe l'image ;
- l'agonie de la femme/amante, qui avance vers la caméra lentement alors qu'une longue queue lui cisaille le cou ;
- la scène où la psychiatre interroge le mari, principal suspect : beau plan de visage sur le côté, et jeu avec les miroirs ;
- la scène où Cruz conduit en entendant résonner "meurs, monstre, meurs", dans un tunnel dont l'issue semble s'éloigner constamment... et deux vieux qui toquent ensuite à sa vitre, mystérieusement ;
- les scènes de motards, redondantes, qui génèrent une angoisse sourde ;
- la grande scène sous l'orage, avec les lumières rouges et les traits de pluie battante, visages souvent captés en gros plan sur le côté.
Et même, oui, la scène où le monstre est montré : scène tant décriée, qui ruine le film aux yeux de beaucoup ! Pour moi, il s'agit plutôt d'un choix audacieux, tant les "films d'horreur d'auteur" suggèrent plutôt qu'ils ne montrent (qu'on pense à Tourneur ou à Carpenteur). Cela participe de cette hybridation intéressante entre série Z et film ambitieux artistiquement. Et le monstre lui-même ? Eh bien, je le trouve plutôt réussi, il ne m'a pas fait hurler de rire, et je le trouve plutôt troublant (je redis que je n'ai pas une grande culture du genre !). Cette longue queue aboutissant à un gland, ce visage évoquant de longs testicules fripés et cette gueule ouverte devenant vagin carnivore... De quoi dérouter, et nous éloigner de la piste qui voudrait que le film dénonce simplement le machisme de la société argentine.
Car la question se pose: quel est le sens de tout cela ?! C'est là que le bât blesse. Je n'ai personnellement pas réussi à dégager une direction à ce cheminement dans le gore visuellement très soigné. Peut-être est-ce cela le cinéma surréaliste ? Des images, des symboles, lancés sans souci de cohérence ni de discours clair ? Laisser les associations se faire librement dans la tête du spectateur ? Une telle ambition suppose des moyens formels puissants. C'est plutôt le cas ici. Avec le recul, oui, une réussite.
7, 5