Ce thriller manipulateur est l'adaptation d'un roman du duo Boileau-Narcejac, et cela saute aux yeux lorsqu'on connaît un peu l'univers des deux romanciers français - qui connurent une douzaine de transpositions ciné, dont la plus célèbre fut tournée deux ans seulement avant celle-ci ("Vertigo" d'Alfred Hitchcock en 1958).
On retrouve dans "Meurtre en 45 tours" leurs thématiques de prédilection, déjà présentes dans "Les diaboliques" de Clouzot notamment, avec un couple adultérin et un triangle amoureux dont l'un des membres a priori décédé revient hanter les deux autres.
Mais au-delà de cet air de déjà-vu, c'est surtout l'aspect artificiel et peu crédible du scénario qui constitue la plus grande faiblesse du film d'Etienne Périer. Le réalisateur belge et ses scénaristes font passer un certain nombre d'invraisemblances au prix de contorsions psychologiques difficiles à avaler, les personnages se réfugiant dans de pudiques non-dits, bien pratiques pour maintenir une ambigüité sur les évènements.
Ceci posé, "Meurtre en 45 tours" reste plutôt une réussite du genre, par sa capacité à entretenir un véritable suspense jusqu'aux derniers instants, parvenant même dans ses meilleures séquences à jouer avec les nerfs du spectateur. Celui-ci croit deviner à plusieurs reprises dans quelle direction se dirige le récit, et se retrouve en réalité baladé de fausses pistes en vrais indices, pour un dénouement tout à fait inattendu.
D'ailleurs le réalisateur belge effectue de nombreux gros plans et inserts sur des objets (un briquet, un cendrier, un revolver...), orientant ainsi habilement le regard - et donc l'esprit - du spectateur sur des indices plus ou moins fiables en réalité.
Au delà des invraisemblances et de quelques incohérences (quand même), il faut reconnaître que l'intrigue est plutôt bien ficelée, chaque pièce finissant par trouver sa place au sein du puzzle global conçu par Boileau et Narcejac.
Dommage que les dialogues se révèlent un peu faiblards, et que l'interprétation s'avère inégale : en effet, si Jean Servais et son phrasé si particulier ne déçoivent pas, et si les seconds rôles sont impeccables (Raymond Gérôme en commissaire, Bernard Musson en valet, Jaqueline Danno en starlette de la chanson), on ne peut pas en dire autant du couple central.
Danielle Darrieux est certes restée d'une grande beauté à plus de quarante ans, mais elle surjoue nettement et se montre aussi sensuelle qu'un glaçon. Ce qui ne facilite pas les choses pour son jeune partenaire, et de fait Michel Auclair apparaît en retrait voire transparent.
Difficile pour le film d'atteindre des sommets d'émotion dans ces conditions, mais on pourra se rabattre sur le mystère et la tension qui traversent le récit, et sur le plaisir de se plonger dans l'univers du show-bizness à la française en ce début d'années 60, où les yéyés sont chronologiquement si proches et pourtant si loin encore dans les mentalités.