"Sombre, c'est quand on voit quelqu'un qu'on ne reconnait pas."
ATTENTION SPOIL MAIS QUAND JE DIS SPOIL JE VEUX DIRE SPOIL VOUS VOILA PREVENUS
Non mais VRAIMENT! Ne lisez pas si vous ne voulez pas l'histoire!
Monsieur Des Pallières Arnaud, me voilà bien embêtée au moment de noter votre film et j'ai bien envie de vous expliquer en détail pourquoi.
Ne vous connaissant ni d'Eve ni d'Adam, j'avoue ne devoir ma présence en salle qu'à celle dans votre film du beau Mads (Mads! MADS! Ah, Mads... *soupir*) Mikkelsen. Je suis donc surtout là pour me rincer l'oeil.
Mais la séquence d'introduction démarre, et c'est un plan large sur ses cavaliers et leurs chevaux qui traversent la brume que vous nous offrez, accompagnés d'un rythme au tambour tout à fait accrocheur, et qui finit par un fondu au noir illuminé du nom de Mads Mikkelsen. Il y en a une qui se frotte les mains sur son siège.
La séquence d'introduction se poursuit et révèle dès l'entrée ce qui est pour moi votre plus gros défaut : le travail sur les dialogues.
Entendons nous bien, le vendeur de chevaux, Kohlhaas/Mikkelsen, se retrouve face au baron et à ses hommes et est obligé de leur laisser en gage ses deux plus beaux chevaux. Jusque là, ça me va. Vous étirez le dialogue et la scène, à priori dans un souci de réalisme. Soit. Mais quid des accents des uns et des autres, quid de la différence entre ceux, français, qui articulent comme on articule de nos jours, alors que les autres, étrangers, s'efforcent de bien prononcer? Réaliste, ça? Non pas vraiment. D'autant que sur cette séquence le seul qui me parait crédible est danois, si vous voyez ce que je veux dire.
=> j'en suis donc à 6, qui serait 5 sans ce brave Mads.
On suit Kohlhaas, et son valet, qui subit une mésaventure mordante, mais qui a une voix qui me perturbe et m'empêche de le prendre au sérieux. J'ai mes tocs. Quant à Kohlhaas, les choses deviennent plus intéressantes lorsqu'il retrouve sa femme, car Arnaud vous nous offrez là une belle scène d'amour sans vulgarité aucune, toute en poésie.
Pour ça et pour " Je boirai sa tendresse dans l'auge d'un cochon", je passe à 7.
Les deux chevaux mis en gages sont en piteux état, Kohlhaas est faché et demande justice, qui ne lui sera pas rendue. Sa femme se propose alors pour aller plaider leur cause à la cour de la princesse d'Angoulême.
Passage très long et sans grand intérêt, si l'on omet la séquence de l'accouchement de la jument, très bien filmée. 6.
La femme revient de la cour en un piteux état et là vous scotchez Bibi à son siège en lui offrant une pure séquence de cinéma : la gamine qui était avec son père court pour rentrer voir sa mère et rejoindre son papa, son souffle sera omniprésent, quand bien même vous filmez Kohlhaas, la cime des arbres ou sa jupe qui vole. J'aime. 8.
Kohlhaas pour se venger et récupérer ses chevaux réunit cinq hommes pour un raid sur la cité du baron. Mais un raid, un vrai, un silencieux, un où les hommes ont peur de se faire prendre et agissent lentement, un où vous filmez plutôt l'initiative du tireur que la flèche qui transperce et le sang qui coule. Des chiens féroces gardent une entrée et leur maître, on reste du côté des tireurs, de leur précision, et seule la disparition des aboiements nous indique qu'ils n'ont pas raté leur cible. J'adore. 9.
Puis Kohlhaas recrute des hommes, des paysans en révolte, pour aller saccager un couvent où le baron pourrait se cacher. Les scènes s'étirent de nouveau en longueur, les dialogues iraient peut-être mais je suis décidément trop allergique à la voix de César, le valet, (qu'on lui donne de la testostérone, quelqu'un!) pour m'en rendre compte. Je manque de décrocher, 6.
Mais le couvent se fait asségier, Amira Casar s'écrase devant la croix, Kohlhaas surplombe avec sa fille une bataille entre ses hommes et ceux du gouverneur. Une fois de plus c'est beau, sans tomber dans l'épique grandiloquent, Mads n'y est pas pour rien. Retour à 8.
Kohlhaas, épris de justice, tient à être juste plus qu'à son tour et pend l'un de ses hommes pour mauvaise conduite. Il se fait réprimander dans un monologue qui s'éternise par un pasteur qui ne doit être autre que Luther. Si le début du monologue est rendu intéressant par son acteur, il est vite redondant et je suis vite frustrée de ne pas avoir plus de Danois à l'écran. 7.
Kohlhaas obtient une amnistie, magnifique plan séquence silencieux où il montre le papier à tous ses camarades.
Ils rendent les armes, Kohlhaas rentre chez lui, et la princesse d'Angoulême, cette coquine, débarque en plein milieu de son bain rien que pour voir ses fesses. Et accessoirement jouer les princesses magnanimes. L'actrice est bien dans son rôle, inquiétante, bizarre. J'ai déjà parlé des fesses de Mads. 8
Tout aurait pu bien se finir mais certains rebelles ont fait des leurs, et c'est Kohlhaas qui trinque. Et à partir de là, tout me plait. Les silences, le point de vue des prisonniers dans la charette qui fait qu'on ne sait pas encore dans quel état on va retrouver nos protagonistes, l'intériorité de Mikkelsen, la lumière, la fillette, la scène finale est géniale, vous continuez à prendre votre temps, c'est hyper réaliste, hyper touchant, hyper juste, ça a hyper marché (oui je cherchais un jeu de mots pourris.).
Alors voilà, mon cher Arnaud, votre film a des défauts, il est truffé de longueurs, il a des choix artistiques vis à vis du casting qui sont assumés mais qui peuvent déranger, il est meilleur lorsqu'il est silencieux que bavard, mais il est aussi très beau, cinématographiquement parlant, artistique, touchant, maitrisé, ça n'est pas tous les jours qu'un film français réunit un casting international, pas tous les jours qu'un film français de cette qualité sort sur les écrans.
Alors pour tout ça, et parce que ça fait du bien de voir qu'on peut faire un film français qui ne soit ni "à Paris", ni "campagnard", un film français historique qui plus est mais qui ne tombe pas dans la pédagogie ou la didactique, qui reste du cinéma avant tout et s'intéresse d'avantage à son art qu'à l'éducation de son public, parce qu'il y a Mads et que ça, c'est génial, je vous mets un 8. Mais tâchez de corriger vos défauts pour la suite, que je vous souhaite longue et prospère.