Il serait trop simple de voir en Michel-Ange de Konchalovsky un simple biopic, une énième glorification du génie créateur. Non, ce film n’est pas fait pour les esprits tranquilles ou les âmes confortables. C’est une plongée dans l’abîme, une exploration des gouffres de l’âme, là où le sublime côtoie la démence et où la quête de Dieu n’est qu’une longue et douloureuse ascension sur une échelle brisée par la vanité des hommes.
Ah, Michel-Ange ! Non pas le sculpteur que l’on enseigne aux jeunes filles de bonne famille, non, mais l’homme dévoré, fracturé, rongé par ses visions et ses obsessions. Konchalovsky le montre tel qu’il est, ou plutôt tel que seuls ceux qui ont l’âme écorchée peuvent le voir : un esprit prisonnier de son propre génie, pris dans un tourbillon où chaque coup de ciseau sur le marbre est un cri vers le ciel, un appel muet à un Dieu qu’il ne sait jamais si proche ou lointain. Et pourtant, il continue, implacable, comme un Sisyphe qui aurait échangé son rocher contre un bloc de marbre blanc.
L’homme face à la grandeur, voilà le véritable sujet du film. Mais qu’est-ce que la grandeur sinon la folie travestie en ambition ? Konchalovsky nous le montre bien : les papes et mécènes, ces hommes d’église déguisés en princes terrestres, sont des figures grotesques, ivres de pouvoir, manipulant le génie de Michel-Ange comme un jouet. Ils parlent de Dieu avec des bouches sales, tandis que l’artiste, lui, ne parle presque pas, préférant laisser sa lutte sourde se dérouler dans le silence et la poussière de ses ateliers. On dirait parfois qu’il sculpte non pas des statues, mais ses propres tourments, comme si chaque œuvre était une confession muette de son incapacité à atteindre l’absolu.
Et qu’est-ce que le film, sinon la mise en scène de ce paradoxe ? L’artiste qui cherche Dieu finit par se heurter aux hommes, et c’est là que commence la tragédie. Il est entouré de figures qui l’admirent, l’utilisent, le flattent, mais Michel-Ange reste seul, seul face à sa propre ombre, seul à contempler l’œuvre inachevée de son existence. Konchalovsky filme cela sans concession, à travers des plans sombres, presque sales, où la lumière vacille comme une flamme mourante. L’ombre y prend plus de place que le marbre, rappelant que la véritable lutte n’est jamais contre la pierre, mais contre soi-même.
Alors, on pourrait se demander pourquoi cet homme, cet artiste, persiste. Pourquoi sculpte-t-il encore, pourquoi se débat-il dans un monde qui lui est hostile ? La réponse, le film la chuchote, presque honteusement : parce qu’il cherche Dieu là où les hommes ne le voient pas, dans l’imperfection, dans la faille, dans la folie même. Et cette recherche n’est pas celle du saint, mais du damné, celui qui sait qu’il n’atteindra jamais le ciel mais qui, par orgueil ou désespoir, tente quand même de le toucher.
Michel-Ange est donc plus qu’un portrait, c’est une réflexion à la fois sublime et sombre sur la nature humaine. La folie des grandeurs, la quête de sens, et l’artiste qui se consume dans la création d’une œuvre dont il sait qu’elle ne sera jamais parfaite, jamais assez divine.
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