Un réalisateur japonais hors les murs : Ryuhei Kitamura met en scène Midnight Meat Train

Reconnaissance, gloire... Des rêves d'anonymes tapis dans la pénombre de mégalopoles insondables. Ces désirs sont également partagés par Leon Kaufman (Bradley Cooper), photographe au talent prometteur. Leon à la recherche en plein New-York, d'un nouveau souffle et d'une inspiration différente.

Une nuit dans les entrailles du métro, il capture des photos inattendues, déconcertantes d'une jeune femme en proie à des agresseurs. La nature de ce qu'il a saisi : violence et haine, lui fait bénéficier d'un certain intérêt auprès de Susan Hoff (Brooke Shields) – influente galeriste qui semble faire et défaire les artistes. A lui à présent de retourner à cette source et de ramener d'autres photos pour une prochaine exposition, avec pour seul diktat : puiser dans la même substance de peur.

Le jeune homme encouragé par sa petite amie Maya (Leslie Bibb) part en quête de nouveaux clichés. Continuant son exploration dans le métro et la nuit propices, il recoupe des coïncidences, qui le pousse à enquêter plus loin sur un individu étrange et silencieux. Un dénommé Mahogany (Vinnie Jones). Un type qui prend inlassablement chaque nuit le dernier métro, portant à bout de bras une sombre sacoche de médecin. Il découvre que ce dernier appelé le « Boucher du métro », traque ses victimes, de la chair et du sang qu'il abat à coup de masse entre les barres d'acier des convois. La police ne veut pas le croire. Il doit agir, arrêter Mahogany, malgré cet insaisissable sentiment que le destin a déjà choisi...

The Midnight Meat Train est adapté d'une nouvelle de Clive Barker, bien connu des amateurs de films d'horreur. A la fin des années quatre-vingt et début quatre-vingt-dix, les démons (Hellraiser, Candyman) sortis de son imagination prolixe dévoraient déjà nos esprits torturés. C'est donc une énième œuvre de l'auteur qui est portée à l'écran par le réalisateur japonais Ryuhei Kitamura. Il n'est pas anecdotique de souligner que le projet de réalisation était initialement destiné à Patrick Tatopoulos. Car cet élément précise la difficulté qu'il y a eu à faire aboutir ce film. Changement d'équipe, retard de sortie... Au bout du compte qu'en est-il ?

Pour un premier travail effectué en terre inconnue, aux Etats-Unis, Kitamura a rendu ici une composition dans la moyenne. Le spectateur connaisseur en hémoglobine, en boit jusqu'à la lie. Indéniablement de l'horreur et du sang, il y en a. Du beau. En terme d'esthétisme, les scènes de tuerie reprises avec la virtuosité du numérique et les effets spéciaux sanglants maniés grâce aux techniques d'animation actuelles sont pleinement réussis. Bien assis dans nos sièges de cinéma, à chaque coup de marteau du Boucher, la vibration des chocs fait trembler. On sent l'odeur et l'acidité des coulées de sang. Même dans l'horreur, on peut reconnaître la beauté : l'acier est magnifiquement poli, les gestes précis.

En majeure partie, le scénario est correctement ficelé. Le rythme est maintenu, la dernière partie exceptée. Les fondamentaux du thriller d'épouvante sont exploités, comme il se doit. Sans exhaustivité, on retient aisément les plus représentatifs. Point intial, le film repose sur une figure marquante de tueur en série. Le Boucher du métro (oui, le Boucher et pas nécessairement Mahogany...) a sa place dans le panthéon des slashers. C. Barker et R. Kitamura associés travaillent sur nos craintes dissimulées, appuient là où ça fait peur : se perdre seul dans des espaces souterrains, la violence régnant dans des zones interlopes d'une cité ainsi que l'anonymat urbain écrasant. L'addiction au danger que présente petit à petit le héros, mais aussi son voyeurisme macabre et malsain se cristallisent avantageusement dans le statut de photographe. Le thème et le personnage – non présents dans la prose d'origine, sont introduits à bon escient pour la dynamique du film. A ce niveau, la réserve vient simplement du fait que cet «oeil public» [1] n'est ni tout à fait novateur, ni tout à fait à la hauteur d'un véritable Peeping Tom [2] . Effectivement, la silhouette du photographe, fixant sur pellicule dans sa chambre noire des spectacles de mort et de souffrances évoque largement le travail de Arthur Fellig dit Weegee. Avec du photojournalisme révolutionnaire et très discuté à son époque, Weegee immortalisait en suivant des policiers, des scènes de crimes en particulier dans sa ville de prédilection – New York. Des photos de NY City servant aussi à "montrer combien, dans une ville de dix millions d'habitants, les gens vivent en complète solitude" disait-il. Au vu de ces prédécesseurs réel ou fictifs, Leon Kaufman fait plutôt pâle figure. D'autant moins engageant que l'acteur Bradley Cooper ne montre de ses tourments qu'un visage de surface et au-delà n'interpelle rien. Pas tout à fait dans la peau du personnage. Et puis Creep, autre production récente et gore, a servi une première fois l'exemple d'un dernier train de toutes les angoisses. Certes, on ne se repose pas obligatoirement sur des critères de nouveauté pour juger de la qualité. Ce n'est pas là d'ailleurs que l'œuvre laisse à désirer et que la balance penche du mauvais côté. Où donc alors ? La fin ! Quelle piètre conclusion ! Une réalisation qui se tient jusqu'à ce stade malgré des petits moins , mais le passage vers un monde surnaturel et mystique afin de ponctuer l'explication finale, tue ce qui était consistant et persuasif. Le monde du dessous, cette vie souterraine tout comme la gouvernance de Pères Fondateurs (explicités dans la nouvelle de C. Barker), sont décrits avec la faiblesse d'une ellipse. Il y avait toute opportunité de composer une fin sur fond de cannibalisme tribal et criminel convaincante, or le dénouement bancal épuise hélas la crédibilité de ce métrage.

[1] L'Oeil Public de Howard Franklin. Biographie romancée autour de la vie du photographe Arthur Fellig.
[2] Le Voyeur de Michael Powell.
Bamboo
5
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le 8 mai 2011

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