Au tout début du film, Dani, manifestement en état d'anxiété avancé, sort son téléphone. Un plan poitrine nous la montre hésiter, regardant du coin de l’œil l'écran de son portable. Le film choisit ensuite de nous montrer le point de vue du personnage : l'écran du téléphone. Le pouce s'agite dans l'hésitation de Dani, puis retour sur le visage de cette dernière, qui repose l'appareil, avant de se raviser et de se décider à contacter la personne qu'elle hésitait à appeler.
À la suite de cet enchaînement de plans, on pourra se poser la question de l'utilité du plan central sur l'écran du téléphone. Quelle information nous donne-t-il ? On sera tenté de dire qu'il permet d'insister sur le sentiment d'hésitation de Dani, ou même d'éviter de laisser le spectateur dans le noir quant au sujet de l'hésitation de la protagoniste. Pourtant, l'hésitation était déjà largement exprimée avec le plan poitrine (et par le talent d'actrice de Florence Pugh), et ce plan ne nous donne finalement pas plus d'information sur le sujet de cette hésitation (éventuellement qu'elle hésite à appeler un homme, indiquant une possible relation amoureuse, mais ce genre d'information qui se révèle d'elle-même quelques secondes plus tard me parait trop superflue pour qu'il s'agisse de la seule raison de ce plan). La seule explication qui me vient à l'esprit serait que le film, dans sa volonté thématique d'opposer christianisme et paganisme, voulait que le spectateur soit au courant du nom de la personne que Dani hésite à appeler : Christian, nom autour duquel tourne le pouce du personnage. Ainsi, le spectateur peut comprendre que Dani, symboliquement, cherche du réconfort dans cette mentalité chrétienne face aux dangers qui l'attendent.
Mais ce plan, s'il est utile d'un point de vue thématique, me parait assez auto-destructeur pour le film. En effet, ce dernier semble trouver d'une importance primordiale que le symbolisme et le sous-texte qu'il présente puisse être compris du spectateur de manière très littérale (et dans cet exemple, immédiatement, puisque le nom de Christian n'allait de toute manière pas rester secret). Plutôt que de simplement nous laisser ressentir cette scène introductive, développant une émotion qui aurait permis au spectateur de se laisser porter par le cheminement émotionnel de Dani, le film fait le choix de l'information. Toujours plus d'informations, jusqu'à l'obésité parfois, pour développer au mieux les thématiques, et surtout qu'elles soient accessibles au spectateur, qu'il puisse en avoir conscience. Ce qui a cette fâcheuse tendance à pousser le spectateur à réfléchir durant le visionnage du film, plutôt que de le laisser ressentir l'oeuvre pour qu'il puisse y revenir après.
Pour un film aussi bourré de talent, aussi inventif, ingénieux, cultivé, neuf, je ne peux m'empêcher de ressentir une frustration énorme face à son quasi-rejet de toute sobriété intellectuelle pour certains de ses éléments. Car si nos protagonistes américains et surtout la relation "amoureuse" au centre de l'intrigue sont traités comme un sujet d'étude plus que comme des personnages avec des émotions à respecter, le traitement de la famille de Hårga et de leurs cultes et croyances semble bien plus motivé par une humilité et une sincérité qui sauve le film (même si l'on n'échappe pas à pas mal de dialogues explicatifs, notamment sur la scène du suicide des doyens, alors que la mise en scène suggérait déjà ce qui est ensuite expliqué).
Une tendance de plus en plus répandue dans le cinéma horrifique d'auteur de ces dernières années. Comme si ces réalisateurs poussaient dans des retranchements trop lointains les visées politiques des films de Romero et de Carpenter, sans vouloir se mesurer aux critiques qu'on leur a asséné sur leur prétendue immoralité qui viendrait d'un simplisme couplé à du choquant. De ce point de vue, Midsommar sait se mettre à l'abri de toute critique. C'en est presque décevant pour un film d'horreur qui, je vous l'accorde, n'en est pas vraiment un. Une oeuvre déroutante, mais qui pour ma part aurait dû être renversante.